Jeudi 28 Mars 2024
PATRICE
Lundi, 27 Décembre 2021
pq27ph
 
Granada: Estilo y elegancia…
 
Faenón de François René « El Marqués »...
 
« … L'Abencerage était trop agité pour goûter un peu de repos dans sa nouvelle demeure ; la patrie le tourmentait. Ne pouvant résister aux sentiments qui troublaient son cœur, il sortit au milieu de la nuit pour errer dans les rues de Grenade. Il essayait de reconnaître avec ses yeux ou ses mains quelques-uns des monuments que les vieillards lui avaient si souvent décrits.
 
Peut-être que ce haut édifice dont il entrevoyait les murs à travers les ténèbres était autrefois la demeure des Abencerages ; peut-être était-ce sur cette place solitaire que se donnaient ces fêtes qui portèrent la gloire de Grenade jusqu'aux nues. Là passaient les quadrilles superbement vêtus de brocart, là s'avançaient les galères chargées d'armes et de fleurs, les dragons qui lançaient des feux et qui recelaient dans leurs flancs d'illustres guerriers, ingénieuses inventions du plaisir et de la galanterie.
 
Mais, hélas ! Au lieu du son des anafins, du bruit des trompettes et des chants d'amour, un silence profond régnait autour d'Aben-Hamet. Cette ville muette avait changé d'habitants et les vainqueurs reposaient sur la couche des vaincus.
 
" Ils dorment donc, ces fiers Espagnols, s'écriait le jeune Maure indigné, sous ces toits dont ils ont exilé mes aïeux ! Et moi, Abencerage, je veille inconnu, solitaire, délaissé, à la porte du palais de mes pères ! »
 
Aben-Hamet réfléchissait alors sur les destinées humaines, sur les vicissitudes de la fortune, sur la chute des empires, sur cette Grenade enfin, surprise par ses ennemis au milieu des plaisirs et changeant tout à coup ses guirlandes de fleurs contre des chaînes ; il lui semblait voir ses citoyens abandonnant leurs foyers en habits de fête, comme des convives qui, dans le désordre de leur parure, sont tout à coup chassés de la salle du festin par un incendie.
 
Toutes ces images, toutes ces pensées, se pressaient dans l'âme d'Aben-Hamet ; plein de douleur et de regret, il songeait surtout à exécuter le projet qui l'avait amené à Grenade.
 
Le jour le surprit.
 
L'Abencerage s'était égaré : il se trouvait loin du kan, dans un faubourg écarté de la ville. Tout dormait, aucun bruit ne troublait le silence des rues ; les portes et les fenêtres des maisons étaient fermées : seulement la voix du coq proclamait dans l'habitation du pauvre, le retour des peines et des travaux.
 
Après avoir erré longtemps sans pouvoir retrouver sa route, Aben-Hamet entendit une porte s'ouvrir. 
 
Il vit sortir une jeune femme, vêtue à peu près comme ces reines gothiques sculptées sur les monuments de nos anciennes abbayes. Son corset noir, garni de jais, serrait sa taille élégante ; son jupon court, étroit et sans plis, découvrait une jambe fine et un pied charmant ; une mantille également noire était jetée sur sa tête ; elle tenait avec sa main gauche cette mantille croisée et fermée comme une guimpe au-dessous de son menton, de sorte que l'on n'apercevait de tout son visage que ses grands yeux et sa bouche de rose.
 
Une duègne accompagnait ses pas ; un page portait devant elle un livre d'église ; deux varlets, parés de ses couleurs, suivaient à quelque distance la belle inconnue : elle se rendait à la prière matinale, que les tintements d'une cloche annonçaient dans un monastère voisin.
 
Aben-Hamet crut voir l'ange Israfil ou la plus jeune des houris. L'Espagnole, non moins surprise, regardait l'Abencerage, dont le turban, la robe et les armes embellissaient encore la noble figure. 
 
Revenue de son premier étonnement, elle fit signe à l'étranger de s'approcher avec une grâce et une liberté particulières aux femmes de ce pays. " Seigneur Maure, lui dit-elle, vous paraissez nouvellement arrivé à Grenade : Vous seriez-vous égaré ? "
 
Sultane des fleurs, répondit Aben-Hamet, délices des yeux des hommes, ô esclave chrétienne, plus belle que les vierges de la Géorgie, tu l'as deviné ! je suis étranger dans cette ville : perdu au milieu de ces palais, je n'ai pu retrouver le kan des Maures. Que Mahomet touche ton cœur et récompense ton hospitalité ! ”
 
“ Les Maures sont renommés pour leur galanterie, reprit l'Espagnole avec le plus doux sourire, mais je ne suis ni sultane des fleurs, ni esclave, ni contente d'être recommandée à Mahomet. Suivez-moi, seigneur chevalier, je vais vous conduire au kan des Maures.
 
Elle marcha légèrement devant l'Abencerage, le mena jusqu'à la porte du kan, le lui montra de la main, passa derrière un palais, et disparut.
 
A quoi tient donc le repos de la vie ! La patrie n'occupe plus seule et tout entière l'âme d'Aben-Hamet : Grenade a cessé d'être pour lui déserte, abandonnée, veuve, solitaire ; elle est plus chère que jamais à son cœur, mais c'est un prestige nouveau qui embellit ses ruines ; au souvenir des aïeux se mêle à présent un autre charme. Aben-Hamet a découvert le cimetière où reposent les cendres des Abencerages ; mais en priant, mais en se prosternant, mais en versant des larmes filiales, il songe que la jeune Espagnole a passé quelquefois sur ces tombeaux, et il ne trouve plus ses ancêtres si malheureux.
 
C'est en vain qu'il parcourt les coteaux du Douro et du Xénil, pour y recueillir des plantes au lever de l'aurore : La fleur qu'il cherche maintenant, c'est la belle chrétienne. Que d'inutiles efforts il a déjà tentés pour retrouver le palais de son enchanteresse ! Que de fois il a essayé de repasser par les chemins que lui fit parcourir son divin guide ! Que de fois il a cru reconnaître le son de cette cloche, le chant de ce coq qu'il entendit près de la demeure de l'Espagnole !
 
Trompé par des bruits pareils, il court aussitôt de ce côté et le palais magique ne s'offre point à ses regards ! Souvent encore le vêtement uniforme des femmes de Grenade lui donnait un moment d'espoir : de loin toutes les chrétiennes ressemblaient à la maîtresse de son cœur ; de près, pas une n'avait sa beauté ou sa grâce. Aben-Hamet avait enfin parcouru les églises pour découvrir l'étrangère ; il avait même pénétré jusqu'à la tombe de Ferdinand et d'Isabelle, mais c'était aussi le plus grand sacrifice qu'il eût jusque alors fait à l'amour.
 
Un jour il herborisait dans la vallée du Douro. Le coteau du midi soutenait sur sa pente fleurie les murailles de l'Alhambra et les jardins du Généralife ; la colline du nord était décorée par l'Albaïzyn, par de riants vergers et par des grottes qu'habitait un peuple nombreux. A l'extrémité occidentale de la vallée on découvrait les clochers de Grenade, qui s'élevaient en groupe du milieu des chênes verts et des cyprès. A l'autre extrémité, vers l'orient, l'œil rencontrait sur des pointes de rochers des couvents, des ermitages, quelques ruines de l'ancienne Illibérie, et dans le lointain les sommets de la Sierra Nevada.
 
Le Douro roulait au milieu du vallon et présentait le long de son cours de frais moulins, de bruyantes cascades, les arches brisées d'un aqueduc romain et les restes d'un pont du temps des Maures.
 
Aben-Hamet n'était plus ni assez infortuné, ni assez heureux, pour bien goûter le charme de la solitude : Il parcourait avec distraction et indifférence ces bords enchantés. En marchant à l'aventure, il suivit une allée d'arbres qui circulait sur la pente du coteau de l'Albaïzyn. Une maison de campagne, environnée d'un bocage, s'offrit bientôt à ses yeux : en approchant du bocage, il entendît les sons d'une voix et d'une guitare.
 
Entre la voix, les traits et les regards d'une femme, il y a des rapports qui ne trompent jamais un homme que l'amour possède. " C'est ma houri ! " dit Aben-Hamet ; et il écoute, le cœur palpitant : Au nom des Abencerages plusieurs fois répété, son cœur bat encore plus vite.
 
L'inconnue chantait une romance castillane qui retraçait l'histoire des Abencerages et des Zégris. Aben-Hamet ne peut plus résister à son émotion ; il s'élance à travers une haie de myrtes et tombe au milieu d'une troupe de jeunes femmes effrayées qui fuient en poussant des cris.
 
L'Espagnole, qui venait de chanter et qui tenait encore la guitare, s'écrie : " C'est le seigneur maure ! " Et elle rappelle ses compagnes.
 
Favorite des Génies, dit l'Abencerage, je te cherchais comme l'Arabe cherche une source dans l'ardeur du midi ; j'ai entendu les sons de ta guitare, tu célébrais les héros de mon pays, je t'ai devinée à la beauté de tes accents, et j'apporte à tes pieds le cœur d'Aben- Hamet... ”
 
Les Aventures du dernier Abencerage /1826.
 
François-René de Chateaubriand.
 
Datos
 
Les Aventures du dernier Abencerage est une nouvelle de François-René de Chateaubriand, écrite en 1807 et publiée pour la première fois en 1826 à Londres, ainsi que dans le tome XVI de ses Œuvres complètes, paru la même année à Paris.
                   
                        C'est une fiction relatant les aventures du dernier membre de la famille des Abencérages, famille musulmane noble exilée après la prise de Grenade en 1492.
 
                    Aben-Hamet, musulman, dernier descendant des Abencérages, se rend à Grenade, là où régnèrent ses ancêtres. Il tombe amoureux de Blanca, chrétienne, descendante d'une riche famille espagnole.
 
                         L'un et l'autre n'acceptent de s'aimer que si l'un se convertit à la religion de l'autre.
 
François-René, vicomte de Chateaubriand, né le 4 septembre 1768 à Saint-Malo et mort le 4 juillet 1848 à Paris.
 
Son tombeau est situé sur l'îlot du Grand Bé à Saint-Malo.
 
Il est considéré comme l'un des précurseurs du romantisme français et l'un des plus grands noms de la littérature française.
 
« Hola !»
 
Sur sa carte de visite était inscrit : « Chateaubriand », rien d’autre…
 
Il dormait avec le Code Civil sur la table de nuit…
 
 Beaucoup de femmes traversent la vie de ce grand séducteur.
 
 Eprise mais jamais aimée, Céleste Buisson de La Vigne, épousée pour sa dot supposée en 1792, sera, jusqu’à sa mort, en 1847, une épouse digne et fidèle. Leur vie commune commence véritablement en 1804 ; Céleste doit se résigner au défilé incessant des « madames », amantes, amies, admiratrices de Chateaubriand
 
En 1796, en Angleterre, Chateaubriand oublie si bien sa femme que l’épouse du pasteur Ives lui offre la main de sa fille Charlotte, à qui il enseigne la littérature.
 
 A son retour d’exil, il fréquente le salon de Pauline de Beaumont. A Savigny-sur-Orge, Pauline lui procure la paix nécessaire à l’achèvement du Génie du Christianisme. Elle le rejoint à Rome, en 1803 et, phtisique, meurt dans ses bras.
 
 Autre amour : Nathalie de Noailles, rencontrée en 1805. Chateaubriand la retrouve à la fin de son périple autour de la Méditerranée, à Cordoue ; cette passion inspire Les Aventures du dernier Abencérage.
 
Claire de Kersaint, duchesse de Duras, écrit des romans et tient un salon politique sous la Restauration. Amie influente, elle favorise la nomination de Chateaubriand comme ministre des Affaires étrangères.
 
  Et c’est, ministre, qu’il a pour maîtresse la jeune Cordélia de Castellane, la « déesse des voluptés ».
 
  Quelques années plus tard, Chateaubriand, sexagénaire, noue une liaison avec Hortense Allart, femme de lettres.
 
  Les amours passent, meurent, fatalité à laquelle échappe celui qui lie Juliette Récamier et Chateaubriand.
 
 Née en 1777, Mme Récamier avait été l’une des reines du Directoire, et eut de nombreux adorateurs. Sa liaison avec Chateaubriand qui commence en 1817, dure jusqu’au dernier jour de son grand homme. L’Abbaye-aux-Bois, couvent où elle s’installe en 1819, devient un grand salon littéraire et politique, voué au culte de Chateaubriand ; à partir de 1834, y sont lus des extraits des Mémoires d’outre-tombe inédits...
Patrice Quiot