Samedi 20 Avril 2024
CFT
Vendredi, 25 Février 2022
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Jeudi : Tentadero chez Rekagori…
 
QUATRIEME JOUR : Aujourd'hui, le rendez-vous est à midi, chez Don Andoni Rekagori, élevage où nous avions tienté, voici un an et demi, une quarantaine de vaches, pour le plus grand plaisir des élèves de l'époque, sous les conseils du maestro Juan Leal.
 
Ce matin, après le petit déjeuner, arrivés à mi-stage, il était temps de faire un entretien individuel, pour faire un premier bilan : la question étant de savoir ce qu'attend chacun des élèves de ce stage, ce qui va bien, ce qu'il faut travailler. Cela permet, à froid, de bien préparer chaque élève à la deuxième moitié de l'entraînement, afin que cela puisse être encore plus profitable.
 
Du coup, la grande salle du bar de l'hôtel se transforme en salle de formation, avec, quand même, un feu de bois pour être dans l'ambiance du Campo Charro.
 
Puis, vient le débriefing photographique, pendant qu'à la télévision, le covid, devenu un vieux souvenir, a été détrôné par la crise en Ukraine et un nouveau scandale de politique intérieure qui occupent tous les esprits.
 
Les toreros, eux, sont dans leur monde, qui n'est pas complètement le nôtre. Je l'avais déjà un peu compris, car la quasi-totalité des cartels de corrida que je découvrais, depuis 30 ans, vous le remarquerez, ne mentionnent que très rarement l'année du spectacle. C'est comme si les taurins voulaient nous faire apparaître l'instantanéité intemporelle de leur monde.
 
Ils avaient tous, plus ou moins consciemment, ressenti dans leur for intérieur que la tauromachie, pratiquée depuis l'origine des temps, ne pouvait être ébranlée par l'agitation quotidienne des petits hommes sur Terre.
 
Donc, après ce checkup technique, place à l'entrainement du jour : 7 vaches à tienter. Le temps est gris, il fait frisquet, on n'aura nul besoin de casquette, c'est le côté positif de la chose !
 
Nous partons à une demi-heure de notre hôtel, en passant devant le célèbre élevage d’Atanasio Fernández, qui, de nos jours, n’existe plus. Sauf qu’aujourd’hui, le bétail qui va être testé est d’origine « Atanasio ».
 
Don Andoni Rekagori est, « dans le civil », psychiatre à Bilbao, mais il assouvit sa passion du toro bravo en entretenant une ganadería dans la zone de Campocerrado. « L’agriculture et les toros sont un moyen certain de se ruiner tranquillement, avec les femmes et le jeu ! » disait mon beau-père !  Le plus amusant, c’est qu’il a racheté dernièrement des vaches à un ancien élève du CFT, devenu aficionado práctico et ganadero « chez nous en France ».  C’est pour elles, un retour à la maison donc, mais question bilan carbone, on trouvera mieux !
 
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11h58 : arrivée à Campocerrado, nous passons devant la petite chapelle typique où le Maestro Manolete aimait venir prier lors de ses « retraites » dans le coin. Elle est actuellement « convertie » en un logis pour les cigognes en transit.
 
Un long chemin de terre serpente dans le campo, nous découvrons déjà des toros de part et d’autre, plongeant notre regard émerveillé par-dessus les murs de pierres sèches qui serpentent dans le campo. Voici le petit portail, dont la fermeture est toujours conclue par un nœud à la limite du nœud Gordien effectué avec une cordelette de nylon.
 
Nous sommes accueillis par deux toutous très gentils, puis, une manade de petits veaux s’approchent, car la curiosité l’emporte sur la crainte. Nous sommes dans le bain. 
 
Désormais, c’est un protocole bien huilé, on ouvre les malles arrière, on sort les affaires et on s’installe rapidement.
 
Le Maestro Varin arrête Paolo, le regarde bien dans les yeux et lui dit : « Aujourd’hui, Paolo, tout ce qu'on te demande, c'est de laisser passer la vache sans bouger, de profil, pieds joints ok ? »  Tope là ! en se serrant la main. C'est l'engagement de la journée.
  
Ultimes conseils avant de débuter la séance, après être allé inspecter le bétail à tienter. En fonction des compétences de chacun, on établit qui va toréer quelle vache et avec qui.
 
Allez, suerte a todos : 12h30 ça démarre…
 
Première vache assez forte.
 
Nino la pare. Elle répond aux sollicitations du picador.
 
A la muleta, elle se révèle un peu faible et distraite. Nino est à son aise.
 
A gauche, elle se laisse faire, elle permet de travailler comme il se doit.
 
Manuel doit la garder dans la muleta, ce n'est pas évident, mais il en est capable. « Une par une, c'est bien, mais on aimerait te voir les lier ! ».
 
Le ganadero demande qu'on laisse respirer la vache.
 
Il faut, dans le même temps, se recroiser et effectuer le vuelo et le toque pour enchaîner les passes. On y est presque…
 
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Mathieu présente la muleta trop de face, à droite, ça ne fonctionne pas.
 
Il prend la muleta de la main gauche, mais c’est difficile de la sortir de sa querencia vers le cheval, resté dans le ruedo après les piques.  « C’est toi qui décides, Mathieu ! ».
 
La vache commence à comprendre, elle le serre un peu plus. Ce n'est pas évident pour lui. Il sort lui-même la vache, c'est déjà un exercice très formateur !
 
Après ces 20 minutes en piste, tout le monde sort des burladeros, rapide debriefing : « Pour se croiser vraiment, il faut aller chercher le 3ème piton qui est derrière ! ». C’était déjà dur avec 2 cornes, s’il y en a une troisième, cela va compliquer les choses !!!
 
Deuxième vache :
 
Clément, coup de cœur du jury, a gagné la muleta hier pour bonne camaraderie. Il pare la vache qui va franchement au cheval.
 
Elle est rapidement vue, on passe à la muleta.
 
Pour Clément, il est question de travailler son transfert de poids du corps.
 
C'est une jolie petite vache un peu faible, il faut la toréer à sa hauteur, avec douceur. Et la laisser se reposer entre les séries. Malgré tout, elle tombe souvent.
 
En chargeant la suerte, Clément commence à transférer le poids du corps. Petit à petit, ça rentre.
 
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C’est au tour de Gauthier, notre « Finito de Nîmes ».
 
Il s'essaie pour quelques passes élégantes, la vache est fatiguée. Il faut savoir toréer en douceur. Il se laisse surprendre par sa bravoure, il étouffe un peu la vache.
 
Puis sort Baptiste.
 
La vache est en querencia, on la décolle du mur. Une passe par une passe, mais au dernier moment, il doute, n'est pas assez croisé et se fait surprendre. La vache est tellement bonne qu'elle démarre sans sollicitation.  Il se met en colère contre lui. Pechos réussis.
 
Gauthier à nouveau.
 
Ça ne va pas. Il se fait serrer !
 
Puis une bonne série à droite. Il improvise des cambios pour les sensations. Il faut oser faire des choses, même si on se trompe, inventer des choses !
 
Troisième vache : plus forte et très mobile.
 
Clément est là pour la parer. Il alterne avec Manuel.
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La vache rase les murs, cherche une sortie. Elle pousse au cheval mais en sort toute seule, c’est pas très bon ça !
 
Clément à la muleta doit toujours travailler le transfert de poids.
 
Il se fait bousculer. Sa muleta est beaucoup trop lourde, comme son ayuda, on lui en donne une plus légère.
 
« Une par une ». Ça fonctionne.
 
Querencia au portail. On arrête.
 
Valentin sort pour « ander » (marcher) avec elle jusqu'à la porte du toril. Il lui faut apprendre à se mouvoir avec l'animal pour avoir du recours. Pour le moment, ce n’est pas encore le cas. Il faudra y travailler avant d’aller plus loin.
 
Le soleil se lève, les couleurs du campo ressortent mieux.
 
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Quatrième vache :
 
Valentin pare et alterne avec Nino.
 
Elle est difficile à fixer. Elle cherche derrière les burladeros pour s'échapper. Elle s'emploie au cheval, prend des picotazos.
 
Mais personne n'arrive à la fixer pour que le picador puisse officier et le ganadero juge de la volonté de la vache d'aller au cheval par elle-même.
 
Valentin prend la muleta.
 
Le chant des oiseaux devient presque entêtant. Il le dispute avec le concert de claquements de becs des cigognes au loin. Clac clac clac clac clac clac clac, Israël Galván serait-il parmi nous ?
 
La vache est faible, elle nécessite de la douceur. Elle tombe souvent.
 
Gauthier à son tour.
 
La vache tombe mais repart de loin, elle retombe, il faut apprendre à la relever sans lui faire mal, dans son axe, sans la stresser.
 
Pour l'instant, c'est Gauthier qui est un peu sur le qui-vive. « Calme toi Gauthier ! ». Il a de bons gestes. Mais, il lui faut plus de douceur avec cette vache faible. « Caresse-la de ta muleta ! ».
 
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Clovis sort.
« Pose-toi, cale tes pieds au sol et fais la vague. ». C'est pas mal du tout. Il faut lier les passes, sans la faire tomber. « Pense à la seconde, laisse la muleta morte. ».
 
Paolo se risque.
 
Un pecho, c'est presque bon, on tente un derechazo, la vache ne collabore pas. Enfin un pecho bien fait, l'effort est louable. Il revient un peu tremblant au burladero mais c'est méritoire, il avait promis, il a tenu !
 
On sort la vache.
 
Cinquième vache :
 
Le ganadero annonce que la vache a une petite tâche dans l'œil, mais il pense qu'elle voit quand même.
 
Gauthier pare la vache, elle semble avoir plus d'énergie.
 
La rencontre avec le cheval est très brève, mais elle revient pour en découdre.
 
Mathieu sort pour placer la vache puis Clément est au centre. Elle réagit immédiatement, va jusqu'au cheval, pour une autre rencontre.
 
Gauthier ressort pour la placer au centre, à la demande du ganadero.
 
Elle y retourne.
 
Mathieu, à nouveau, sort la vache pour Gauthier qui va la toréer à la muleta.
 
Gauthier « Finito ».
 
Le ganadero lui indique qu'il veut qu'elle soit toréée plus près.
 
Il est trop sur elle, il l'oblige, elle tombe. Il lui faut lier 3 passes si possible. Belle série, à mi-hauteur.
 
Très belles attitudes très "Finito de Nîmesques"
 
Baptiste est appelé.
 
À gauche. Il n'a pas confiance. Il lui faut présenter plus de pico. La vache répond bien. Il faut mettre les reins. Ça y est presque, mais c'est beaucoup une question de confiance en soi. Il ne faut pas gaspiller cette bonne vache. Au suivant !
 
Mathieu.
 
Il ne doute pas et enchaîne plusieurs passes, remate d'un joli pecho.
 
Autre série, ça semble facile, ça ne l'est pourtant pas !
 
Rémy.
 
« Calme-toi, reste quieto ! ». Séries de pechos avec les jambes fixes. Puis, ça chiffonne…
 
Eric « Magic ».
 
« Pense à tenir ton buste bien droit. Sans fléchir vers l’avant. »
 
Il réussit derechazos et pechos se dirigeant vers le toril pour sortir la vache.
 
Déjà 2 heures d’entrainement. 
 
Sixième vache :  
 
Manuel et Valentin pour parer alternent.
 
La vache est haute, forte.
 
Manuel à la muleta. La vache tombe.
 
Bonnes séries de Manuel, il prend confiance, mais au bout d'un moment, il est trop confiant, la vache le bouscule ; il ne faut jamais perdre le respect, sinon, patatras !
 
Il recommence, plus centré, c'est très efficace. Il est félicité par ses professeurs.
 
Clément.
 
Il effectue des séries à gauche, mais ne transfère pas son poids. Il donne du vuelo pour solliciter la vache, mais elle tombe.
 
Clovis
 
« Il faut rester quieto, les pieds dans le sol. »
 
… Ça commence à le faire, une après l'autre.
 
Septième et dernière vache :  
 
Le ganadero demande que l'on baisse plus le capote pour essayer de fixer la vache au centre.
 
Nino pour parer avec Mathieu.
 
La vache ne répond pas aux sollicitations du picador.
 
Nino à la muleta.
 
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La vache tombe, le ruedo est très mou maintenant, au bout de 3 heures.
 
Malgré tout, il trouve le rythme, muleta morte, c'est fluide. La vache est hypnotisée par le drap, elle est extraordinaire. Elle ne voit que le tissu.
 
Sacha sort pour en profiter.
 
Il y va et fait une ou deux passes pas mal. On n'insiste pas, ça suffit pour avoir des sensations, il faut dire que cette vache avait les cornes un peu pointues.
 
Nino à nouveau.
 
Cette vache est idéale pour reprendre confiance : Passes en redondo. Il n'y a que le tissu qui l'intéresse !
 
 Clovis
 
Excellente série avec même une passe dans le dos. Il a passé un vrai cap. Excellent dans le rythme et le replacement. Merci à la vache particulièrement « fixe » !!!
 
 15h30 : fin de l'exercice.
 
Nous rentrons déjeuner, il est 16h30 ! C’est plutôt l’heure du goûter. Au menu, soupe de haricots au chorizo et coude de porc en ragout ! Cuisine typique, délicieuse, servie avec le sourire et la chaleur des gens d’ici.
 
Les brebis sont autour de notre hôtel, tranquilles. La vie du campo s’égrène avec la régularité d’une montre suisse.
 
Demain, autre ganadería, autres aventures, autres progrès, autres difficultés, mais toujours la même humilité et le même plaisir.
 
Photos : Jean-Luc Jouet