Vendredi 03 Mai 2024
PATRICE
Mercredi, 09 Mars 2022
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La lance dorée du Campeador (1)…
 
Tiré de cajón : Patricius fecit  
Maius mensis MMXI AD
 
(Petite coquetterie tauromachico-nîmoise d’après « Le charroi de Nîmes », chanson de geste du cycle de Guillaume d'Orange).
 
C'est le nouveau temps de printemps ; les bois feuillissent et les prés reverdissent.
 
Les oiseaux chantent bellement pour célébrer la Féria de Pentecôte.
 
Je rentre d’Austrasie, de Lutèce et Lyon après avoir fait chasse de cerfs de première graisse.
 
Je porte mon sac à l'épaule ; une épée de mort et quatre flèches sont passées à ma ceinture.
 
En ma compagnie vont deux hirondelles.
 
Il est la dixième heure.
 
Vient à ma rencontre Maistre Antoine, mon collègue depuis que le bon peuple eût chassé du trône Valery l’Auvergnat pour remettre le sceptre à François de Jarnac.
 
Je le baise trois fois en grande amitié.
 
« D'où venez-vous, bel ami ? » lui demandai-je.
 
Maistre Antoine dict :
 
« Il est quarante lunes, je fus à Hispalis.
 
Alfonso VII, Imperator totius Hispaniae, s’y trouvait avec Doña Berenguela, fille du comte de Barcelone et nièce de Louis Le Gros, notre bon Roy.
 
Entre autres divertissements pour s’esbaudir, il y eut grande fête de taureaux fors la belle cité d’Al Mutamid était contrite du vol de la lance dorée du Campeador ».
 
Fin lettré et au fait de la chose poétique, Maistre Antoine précisa à mon entendement : 
 
« Campeador n’était qu’or partout, du cimier aux talons,
L’or des cuissards froissait l’or des caparaçons, 
Des rubis grenadins faisaient feu sur son casque, 
Mais ses yeux en faisaient plus encore sous son masque, 
Superbe, et de loisir, il allait sans pareil, 
Et n’ayant rien à battre, il battait le soleil ! »
 
Au propos de l’essoyne de la lance, Maistre Antoine, ajouta:
 
« Par ire soudaine et seule vilenie, la prise d’icelle lance à un de nostre cité fut injustement attribuée et l’arme d’host à fer pointu aurait, à Nismes, été nuitamment portée.
 
Et, personne, de ce que j’en sache, en ce lieu, n’en connait mie.
 
Mais laissons à Satan sataneries, à Dieu bondieuseries et à maréchaussée maréchausséseries.
 
A ce jour, je suis en notre bonne ville où règne grand émoi.
 
Notre cité en liesse distribue ses charmes ; à l'un, une promesse ; à l’autre, une oreille ou encore une embrassade ou une fougassette à tel autre.
 
C’est le bel charroi de Nîsmes ».
 
Je me gausse d’une saine joye:
 
« Allez à votre maison, mon bel ami et faites-vous somptueusement habiller pour paraître.
 
Ce que vous me contez sur notre cité enchante mon âme, même si mon esprit est fort navré de la volerie que vous me narrez.
 
Mais, tranquilo compère mien ; ne voulant pas avec la fière Espagne voir notre amitié trahie, vous me rejoindrez à la seizième heure du jour, vêtu de vos plus beaux atours.
 
Pour tant la quiert-on qu'on y parvient, j’aurai pour lors, trouvé réponse au larcin.
 
Puis, ensemble, irons joyeux à l’amphithéâtre avant de faire bombance ».
 
Je marche dans ma ville, passe sous les micocouliers du quai de la Fontaine, gravis si hardiment les escaliers de la Tour Magne qu'éclatent mes chausses en cuir de Cordoue, je foule l’avenue Jean Jaurès, croise la Maison Carrée et descends le boulevard Victor Hugo.
 
Je siffle entre mes dents.
 
Le soleil luit et aussi Pierre et aussi Jacques et aussi Jean.
Je siffle entre mes dents.
Loin de toute misère,
Six animaux libres sont retenus en cages de fer.
 
Il est la onzième heure et c’est le bel charroi de Nîsmes.
 
Mais la lance dorée soustraite au Campeador fait saigner mon cœur.
 
Au « Café de la Bourse », je prends langue avec sire Alain, l’ancien premier échevin.
 
« Assieds-toi », dit l’édile.
 
« Non ferai », dis-je.
 
« J'ai un petit assaut à mener pour te parler ».
 
L’échevin acquiesce : « Ce sera comme tu commanderas ».
 
« A toi de bien écouter, ami échevin. Aujourd’hui l’envie de bataille apparaît dans les cartes rouges de ton signe. Mais de cela, à l’heure en ai cure car me marryt davantage la lance dorée prise au Campeador.
T’en es-tu saisi ? »
 
« Amigo, dit l’édile, prends patience.
 
La guerre reviendra avec l'an prochain et sous ma bannière nous irons au combat ; mais aujourd’hui, la cité est en liesse. Tends donc ton hanap que l’échanson le remplisse de bon anis car nenni ne sais de la lance ».
 
Il est la douzième heure et, las, je quitte la taverne.
 
En passant sous l’Horloge du Lycée, je marche vers les Halles où fais emplette de deux livres de cèbes de Lézignan et de quatre de daube de premier sang.
 
Il est la treizième heure et c’est le bel charroi de Nîsmes.
 
Par les venelles lumineuses, je croise le comte de Peytavin.
 
Nous nous prîmes la main, et montâmes les degrés de la rue Jean Reboul pour aller faire l’apéro au « Prolé ».
 
« Comte, seigneur de Bachalas et de St Charles, par la grâce du Dieu tout puissant, en connoissez vous davantage sur la lance dorée du Campeador ? »
 
« Amic, dit Peytavin le Petit, rien ne sais car j'eus grande peur hier soir après la Pégoulade alors que j’estais festoyant à la bodega de Jany. 
 
J’y rencontrai vingt orgueilleux gitans de la Placette auxquels je devais trois jaunets perdus au jeu de dés.
 
Nous étions seulement deux avec le bel Ahmed du Chemin Bas qui fait œuvre au marché-gare et joue remplaçant à Nîmes Olympique.
 
La bataille fut grande et noire.
 
Mais, tirant l'épée damasquinée de Joselito de Gelves, frappant de mon bras nu et fauchant tous ses guerriers, je pris le seigneur de ceus là à la gorge et le laissai pantelant et fuyant comme le chien de Jehan Nivelle. »
 
« Cela ne me surprend guère,  comte » lui répliquai-je.
 
« Avez-vous oublié la vile attaque de Diongué, le More de Bezouce, qui voulait profiter de votre absence alors que, ayant pris la Sainte Croix, vous étiez parti en mobylette au Grau du Roi faire pêche de tellines ?
 
Il revendiquait votre place au flipper du « Café de Lyon », votre callejon aux arènes et votre copine Babé aux gros nichons qui tenait commerce de coiffure à la rue Fresque.
 
Vous fonçâtes sur lui et, sous les yeux des clients du « Napo », vous lui plantiez votre gantelet dans le corps jusqu'au gonfanon.
 
Puis vous le lançâtes dans le canal de la Fontaine où il fut mangé par les anguilles ».
 
« Las, répondit Peytavin le Petit, j’ai tant servi que j'ai le poil chenu et jamais n'ai reçu un pain, une abbaye ou un duché de ceux pour qui, derrière les talenquères, je fais besogne de basse police.
 
Aujourd’hui, marri, je crois que je vais tourner le vermeil de mon écu et virer tarlouze ».
 
« Fi de vos billevesées, chevalier ; demain à midi, chez Marius, avant le mano a mano qui, de Nismes à Lutèce, enchantera le royaume, vous serez à mes côtés pour une bugade de raviolis.
 
Il y en aura à boudre et au moins pour trente » lui lançai-je, l’abandonnant à son ire, mais moi tout entier à mon trouble du vol de la lance dorée du Campeador. »
 
Il est la quatorzième heure et c’est le bel charroi de Nîsmes.
 
A suivre…
 
Patrice Quiot