Samedi 27 Avril 2024
PATRICE
Jeudi, 10 Mars 2022
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La lance dorée du Campeador (2)…
 
Tiré de cajón : Patricius fecit  
Maius mensis MMXI AD
 
(Petite coquetterie tauromachico-nîmoise d’après « Le charroi de Nîmes », chanson de geste du cycle de Guillaume d'Orange).
 
…. Nismes de bannières est toute ornée, ses gens descendent dans les rues en chantant, des hautbois jouent, des voix mélodieuses se rencontrent. Des cavaliers entourent des charrettes, portant courroies et besaces.
 
Le ciel est d’azur, la bonne chère cuit dans des marmites offertes à l’encan et des enfants jouent à la billette.
 
Jamais fête me donna tant d’heur et je fais festin d’une anchoïade.
 
Si le Roi me disait : « Pour t’en défaire je te donne le quart de la France, le quart des marchés, des archevêchés et des villes. »
 
« Non en ferais, Sire, pour tout l'or sous le ciel, je ne quitterais pas la ville aujourd'hui.
 
Elle est bonne à y vivre le jour où, sous la protection de ton cimeterre, combat Sébastien de Béziers, lui qui, jamais, n’aurait eu l’outrecuidance de jeter regard envieux à la lance dorée du Campeador » lui répondrais-je.
 
Il est la quinzième heure.
Celle de la sieste.
 
« L'indolence d'un gros bourdon
Me ramollit pour de bon
Je suis au mazet
Et n'ai plus qu'à me laisser glisser 
Dans les bras d'un trône en osier
Loin de la géhenne des embrassades d’amis retors
Mais à ma peine du larcin de la lance dorée du Campeador. »
 
(Daniel Jean Valade, « Le Divin Chauve », échevin de la ville attaché aux choses du gai savoir et aux mœurs des bêtes à cornes pointues in « Faï tira Ginette».)
 
Puis vint la seizième heure.
 
Vinrent aussi Maistre Antoine et Dame Yannick, dextres, galants, de hait, tout de frais habillés dans le bel charroi de Nismes.
 
Maistre Antoine mérite honneur car, ayant atteint l'âge de douze ans, il fut envoyé à l'école au Monastère des Carmes à côté des « Dames de France ».
 
Son parrain Bouzanquet, l’aïeul de l’épicier qui fait le coin de la rue Notre Dame et de l’ancienne pissotière, prit un soin particulier de l'instruire parmi les autres écoliers qu'il avait en pension, lesquels il surpassait en toutes choses.
 
Son délice était l'Oraison, laquelle il n'interrompait que pour vaquer à ses livres ; et, dès qu'il commença à entendre le latin, il avait continuellement la Sainte Ecriture devant les yeux ; et encore qu'il eût, parfois, les livres des poètes, philosophes païens, ceux du « Tío Pepe » de Claude Popelin ou d’Auguste Laffront, il ne se laissait néanmoins pas emporter à leurs opinions, préférant la science des Saints à la vaine philosophie des sages du monde.
 
Avec cestui là, nous passâmes bel moment et trois belles heures à voir dompter les bêtes irraisonnables que des spadassins ibères ou françois occirent d’estoc, donnant grand plaisir à ceux qui goûtent cet exercice.
 
Puis, Maitre Antoine partit en son oustau à fin d’y escrire son livre d’heures.
 
Mais Dame Yannick resta avec nous.
 
Par son charme et ses manières, on eut dit une Vierge d’Hispanie ; elle me mit cependant à la question :
 
« Vous promîtes à Maistre Antoine, sous peine de son courroux, de lui révéler le secret.
 
Alors donc, hoc et nunc, ubi est Campeadoris pilum ? »
 
En grand dépit, je confessai sur les Saintes Ecritures que je l’ignorois.
 
Il est la vingt et unième heure et c’est le bel charroi de Nismes.
 
Avec d’autres fols amis, en regardant passer les damoiselles en taille, en lançant des calembredaines aux constellations naissantes, en faisant pieuses dévotions à la sorcellerie de Rafael le Gitan, aux nobles gestes du Curro de Camas ou à la belle figure de celui d’Albacete, nous nous abreuvions au Guadalquivir des étoiles dans l’intempérance des barbes à papa.
 
Mais nenni de l’essoyne de la lance dorée du Campeador, cestui la qui battait le soleil.
 
A la vingt-deuxième heure du charroi de Nismes, le roux Serge, fils de Guy et Jacotte, prince de la Vistrenque, majourau de la Pétanque et duc des Cabanes eut faim.
 
Nul n’eut l’outrecuidance de le dédire.
 
« Nous irons faire bonne chère à l’hostellerie de Nicolas pour y festoyer de brandade et tripoux et y boire le bon vin des Costières qui enjolive la vie.
 
Le maître-queue du lieu est un vassal que j’alimente en muges et anguilles qu’aimait Paquirri.
 
Il fait bon le voir, précisa le roux Serge, car il porte bonne trogne et a presque dix et huit mentons ; il est merveilleusement flegmatique des fesses, tant de sa complexion naturelle que de la disposition qui lui est advenue par trop humer de morcilla et par trop lire Del Moral.
 
Et s'il advint qu'il soit dépit, courroucé, fâché ou marri, il trépigne, il pleure, il crie, pour lui apporter à boire ce qui le remet en nature, et soudain il demeure gai et joyeux comme à la lecture d’une chronique du bon Durand de Lansargues.
 
Une de ses duègnes m'a dit, jurant sa foi, que de ce faire il était tant coutumier, qu'au seul son des flacons il entrait en extase, comme s'il goûtait les joies de paradis. 
 
En sorte qu'elle, considérant cette complexion divine, pour le réjouir au matin, faisait devant lui sonner des verres avec un couteau, ou des casseroles avec leur couvercle, auquel son il s’égayait, il tressaillait comme mouche sur merde fraîche, dodelinant de la tête, se léchant les doigts et barytonant du cul ».
 
Nous y soupâmes à cinquante dans grand charivari et tintamarre.
 
Mais nenni encore de l’essoyne de la lance dorée du Campeador.
 
Simon, l’homme le plus fort du monde, était en ce lieu.
 
Oncques, pour l’avoir forcé par conjugaison de cent cautelles et de mille subterfuges à adouber en son fief celui dont une grande partie de la généalogie avait vécu plus près de Cipango que de La Gazelle, Simon m’aurait, joyement donné un coup sur mon heaume d'or gemmé de pierreries et, par son estoc, m’aurait joyement tranché la jambe.
 
Mais, aujourd’hui, apaisé et tout dans la gloire du juste, il m’embrassa.
 
« La lance dorée du Campeador, cestui la qui battait le soleil, est près de toi ; trouve-la. » souffla-t-il en mon oreille.
 
Par ce faisant, tout ragaillardi de cognoistre partie du secret, en moult et moult facéties, galéjades, railleries amusettes, balivernes, coquecigrues, fadaises et fariboles, nous continuâmes encor et longtemps notre grand estrambord.
 
Puis, à l’heure de la vesprée, à moitié empégués, la panse plus pleine que celle du noble Zocato des Landes et vacillant sur nos gambes comme un tor de Jandilla, nous retournâmes à nos logis, donnant notre onction divine aux camions des poubelles et à un coche de cuadrilla garé en vrac devant « L’Empire ».
 
Dépassant de son coffre, dans le jour naissant et sous la lumière verte du néon de l’hôtel, brillait une hampe dorée.
 
Je m’en saisis.
 
Un sceau de cire rouge retient un testament.
 
Il flotte au vent du matin :
 
«Ceci es ce que je veut :
 
Je suis la lance dorée du Campeador.
 
J’ai piqué des millions de toros : Barbudo, Jocinero, Bailador, Pocapena, Granadino, Islero, Avispado, Burlero, Timador, Vitola, Cubatisto sont de ceux-là, mais aussi Ratón, Atrevido, Cigarrón, Sedoso, Buenasuerte, Velador, Faculdades, Clarin, Bastoncito et d’autres.
 
Je connais l’Espagne des légendes, les ventas des bords des routes, le visage du Christ du Prendimiento, les chênes verts de Salamanque, le jour du Corpus, la plage de Sanlúcar et les champs de coquelicots de Benalup.
 
Mais le vent qui souffle dans les clairs citrons m’a raconté le bel charroi de Nismes.
 
Alors j’ai quitté Hispalis un soir de lune verte.
 
Puis, au bon gré des camionneurs ou au bon vouloir des serre-freins, j’ai voyagé en cette terre inconnue et ai enfin rejoint votre cité.
 
Harassé, je me suis allongé là où je suis pour rêver de son amphithéâtre plein le dimanche de Pentecôte.
 
Celui d’ici qui me trouvera me serrera dans ses bras et m’y amènera.
 
Le cœur gai, je passerai sous la Porte des Consuls.
 
Et, là-haut au dernier rang des gradins de pierre, avec les mistons de la ZUP, les filles de Calvas et les déshérités du monde, entouré de la liesse populaire, tout près du Seigneur Tout Puissant, je serai à ma vraie place.
 
Puis, sur l’aile d’un gabian, je retournerai dans ma ville pour y dormir enfin tranquille à l’ombre d’un palmier, pas bien loin de Federico parmi les orangers et la bonne menthe ».
 
C'est le nouveau temps de printemps ; les bois feuillissent et les prés reverdissent.
 
Les oiseaux chantent bellement pour célébrer la Féria de Pentecôte.
 
Ceci, chaque année encore.
 
Autant que Dieu me prêtera vie, chaque année aussi, j’y serai.
 
En ma compagnie iront deux hirondelles.
 
Le cinquième mois de l’an de grâce 2011.
 
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Datos 
 
Le Charroi de Nîmes est une chanson de geste provenant du cycle de Guillaume d'Orange, écrite, selon le plus ancien manuscrit qui nous reste, pendant la première moitié du XIIe siècle.
 
L'auteur est anonyme.
 
Patrice Quiot