Samedi 27 Avril 2024
PATRICE
Dimanche, 03 Avril 2022
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Marseille de toros y de otras cosas…
 
« De 1770 à 1962, Marseille s’est inscrit dans la longue tradition tauromachique du midi de la France, offrant aux Marseillais de simples courses camarguaises et charlotades comiques à d’inoubliables corridas.
 
Elle a aussi laissé dans les mémoires des moments moins dignes et tragiques.
 
Coup de cape sur deux siècles d’une pratique inégale et tumultueuse quand les belles arènes de Marseille et surtout celles du Prado (1897-1951) offraient dans l’entre-deux-guerres des spectacles taurins envolés, des combats de boxe enflammés et parfois même des meetings nationalistes scabreux.
 
En deux siècles, Marseille a compté 18 arènes fixes ou démontables, depuis les « courses et combats de taureaux » donnée à la Plaine en juin 1770 jusqu’à la dernière corrida du 1er juillet 1962 derrière les docks des Suds.
 
Si la corrida s’est éteinte à petit feu, boudée des Marseillais dévorés depuis par la passion du foot, Marseille reste la seule ville de France où en 1905 trois « plazas » ont fonctionné en même temps, offrant le choix entre les arènes du boulevard Barral, les « nouvelles arènes marseillaises », de la traverse Baccuet (1889-1914) et ses voisines du Rond-Point du Prado (1887-1950) qui furent de loin les seules vraies arènes marseillaises : 12.000 places assises entre la rue Jean Mermoz et le boulevard Edouard Herriot.
 
Citons les arènes des Catalans derrière la plage (1891-1896) et dans la dernière période les arènes du Parc Borély (1955-1959).
 
De tout temps, la tauromachie marseillaise a dû affronter l’hostilité de maires, certains « taurophobes » comme l’inamovible Siméon Flaissières qui fulminait de rage à chaque emportement dévastateur « des titis de la Canebière et de Mazargues » mêlés à un public soupe au lait et peu initié au toreo.
 
D’authentiques aficionados, Marseille en compta qui éditèrent jusqu’à 22 revues taurines entre 1887 et 1956. 
 
C’est dire la vitalité de cette tradition qui pour imposer la « corrida a muerte » ne cessa de violer les arrêtés municipaux qui prohibaient l’estocade.
 
Si le matador se fait charcutier, « il y a du pet » et la foule s’écrie « Hi ! A l’abattoir le bombu ! ».
 
On s’habitua dès lors à voir le commissaire de police dresser procès-verbal et coller des amendes à des organisateurs sans scrupules, recruteurs de bétail poussif livrés à des toreros au paseo burlesque.
 
D’Etienne Pouly, Joseph Sol à Henry Dumoulin, les organisateurs avaient à l’esprit le sac de 1872 quand cinq milles spectateurs mécontents du spectacle démontèrent l’arène posée près de la Porte d’Aix.
 
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Il y eut pire, le drame du 14 août 1881, à l’inauguration des Arènes du Prado.
 
Au troisième taureau, sous le poids de la foule, les tribunes s’effondrèrent : 27 morts, 150 blessés graves. L’organisateur, l’architecte et l’inspecteur des bâtiments communaux filèrent quelques jours en prison.
 
Six ans plus tard, juillet 1887, elles rouvraient avec des gradins maçonnés pour de nouveau des « simulacres de corridas », d’« honteuses parodies », « pantalonnades » et « bouffonneries goyesques », lit-on.
 
On y vit aussi « les premières femmes-toréadors, des clowns, des cyclistes, des acrobates et des lutteurs affrontant les taureaux » note l’historien Pierre Echinard.
 
Les broncas firent les choux gras de la presse. 
 
Celle du 8 juillet 1889 : « Une partie des spectateurs, mécontents du jeu des toréadors, exaspérés du refus de mettre à mort le taureau, a protesté bruyamment. Des chaises, des tables, des verres, des bouteilles, ont été lancés sur la piste, et on tenta de briser les palissades. »
 
Le 30 juillet suivant, devant une police impuissante, la foule incendiait les arènes du Rouet (traverse Baccuet) à peine inaugurées : les toreros refusaient d’entrer tant qu’ils ne seraient pas intégralement payés.
 
Deux ans plus tard, en septembre 1904, une corrida soulevait les « protestations indignées de la foule :
 
« Sept chevaux insuffisamment protégés par les picadors ont été éventrés. Un taureau a été littéralement massacré à coups de poignard. (...)
 
La foule s’est livrée à des manifestations hostiles envers le conseiller municipal qui présidait la course. » rapporte Ouest-Eclair.
 
Avec l’éveil à la condition animale, un article dénonce en 1906 une « barbarie tauromachique » : « Les courses avec mise à mort, qui ont eu lieu cet après-midi aux arènes du Prado, ont été aussi écœurantes que mouvementées. »
 
En août 1908, un combat entre des taureaux et deux tigres de Sumatra tétanisés dans un enclos privé d’une bastide à la Vieille-Chapelle fait scandale.
 
En 1920, le conseil municipal rétablit l’interdiction de mise à mort.
 
Du coup, des arènes de 12.000 places sont montées à Aubagne.
 
Du basket et de la boxe de haut niveau (Cerdan, Kid Marcel Kid Francis) furent aussi servis aux arènes du Prado.
 
Le gangster François Spirito s’illustra d’ailleurs en 1932 en sommant les arbitres de déclarer vainqueur son neveu Kid Francis défait par Al-Brown.
 
Le 21 juin 1936, les Arènes servirent de tribune au Parti Populaire Français et on vit Siméon Sabiani et Jacques Doriot faire le salut fasciste avec 30.000 adeptes.
 
En 1938, Jean Cocteau décrit dans « Marseille espagnole » le massacre sous les yeux de Maurice Chevalier d’un « cheval plus maigre que les Christs des églises » éventré par un taureau :« Il tendait un cou de limace, riait de tout un clavier de vieil ivoire et perdait les tripes de son gros ventre ouvert. »
 
Laissons le mot de la fin à Jean-Paul Sartre en août 1939 : « les toreros faisaient des passes correctes, mais ils tuaient mal. (...) Il fallait s’y reprendre à quatre fois pour les tuer. Encore fallait-il alors les achever au couteau, (...) ça ne ressemblait en rien aux courses d’Espagne et pourtant c’était bien plaisant pour nous parce que ça nous rappelait l’Espagne ».
 
David COQUILLE.
 
(« La Marseillaise » 20/08/2014)
 
Datos  
 
1770 :  1er spectacle taurin au lieu-dit La Plaine Saint Michel ; actuellement La Plaine.
 
1872 :   8 septembre : 1ère mise à mort involontaire à la baïonnette par deux soldats.
 
1881, 14 août : effondrement des arènes du Rouet, situées avenue du Prado. On dénombre 415 victimes dont 27 morts et 174 blessés graves.
 
1887, 17 juillet : inauguration des Arènes du Prado, sur l’actuel Boulevard Edouard Herriot, devant 12 000 spectateurs.
 
1889, 30 mai : Inauguration des Arènes des Catalans.
 
1891, 2 août : Luis Mazzantini à Marseille, toujours sans mise à mort.
 
1893, 6 août :17 h 30 : Première estocade marseillaise par Julio Aparici “Fabrilio” aux arènes du Prado, à un taureau castaño nommé Tesub .: une oreille.
 
1898, 15 mai : la première corrida intégrale. 6 Concha y Sierra pour “ Lagartijillo” et Reverte.
 
1899, 23 juillet : inauguration des arènes de la traverse Baccuet, appelées “Nouvelles Arènes du Rouet” ou “Arènes Marseillaises”, qui contiennent 12 000 places assises et 3000 debout.
 
1905, 14 mai : Inauguration de la troisième plaza de Marseille sur le boulevard Michelet, face à l’actuel Stade Vélodrome.
 
Pendant quelques mois, les trois arènes vont fonctionner simultanément.
 
1932 : L’année du record de France : 110 toros sont estoqués à Marseille.
 
1941 : 19 octobre : Arènes du Prado, Emilio Soler “Canario” est tué sur le coup par un taureau de Lescot.
 
1951,21 octobre : fermeture définitive des arènes de Prado.
 
1955, 16 avril : Inauguration des Arènes du Parc Borély, ou Arènes de Bonneveine.
 
1957 – Mai : Création en mai par Gaston Deferre d’une commission tauromachique.
 
8 septembre : débuts en France de Diego Puerta, novillero.
 
 1958, 22 juin : mémorable corrida de “ l’Oreille d’Or “ avec Antonio Ordóñez, Carvajal et Pepe Cacéres. Ce dernier combattra “ Enderoso”, qui fut de l’avis général le toro le plus brave combattu à Marseille, et dont Picasso fit naturaliser la tête.
 
 1962, 3 juin : dernière corrida intégrale.
 
Patrice Quiot