Mardi 30 Avril 2024
PATRICE
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Las Ventas : 91 años, señores, 91 !!! (2)
 
Le 17 mai 1949, Luis Miguel Dominguín fut l’acteur d’un événement inscrit dans l'histoire de la Monumental madrilène et de la tauromachie moderne.
 
Ce jour-là, le torero s'autoproclama numéro un, fait vécu avec enthousiasme par ses partisans, mais avec de nombreuses manifestations de désapprobation de la part de ses détracteurs.
 
Cet après-midi de San Isidro, Dominguín qui partageait l'affiche avec Luis Parra “Parrita” et Manolo González devant une corrida de la Viuda de Galache fut accueilli très froidement par les tendidos bondés de Las Ventas. 
 
Vuelta al ruedo à son premier mais « con el cuarto de la tarde instrumentó una faena que contagió al entusiasmado público asistente, a pesar de no ser rematada con la espada. No obstante le fue concedida la oreja de su enemigo ».
 
Alors, allant au centre de l'arène, Luis Miguel fit signe avec l’index de la main droite qu'il était, lui, le numéro un de la tauromachie, ce qui suscita non seulement des discussions passionnées dans les gradins, mais aussi une controverse qui allait durer de très nombreuses années.
 
Le 6 octobre 1957, un carpintero de la plaza, Pablo Pérez Gómez, mourut quelques instants après être entré à l'infirmerie après avoir été encorné par le toro “Cedacero”, de Flores Albarrán, qui sauta dans le callejón et le blessa mortellement.
 
Sorti en troisième et alors qu’il était lidié à la cape par Fermín Murillo, “Cedacero” sortit suelto d’un des lances de capote, s'approcha des tablas entre les tendidos 6 et 7 et sauta dans le callejón où il blessa mortellement le charpentier qui n'avait pas pu se protéger dans les burladeros intérieurs occupés par la force publique.
 
Souffrant de quatre cornadas et de multiples contusions, l'équipe médicale ne put rien faire et il mourut quelques minutes plus tard dans le bloc opératoire de l’infirmerie de la plaza.
 
Au cours de ses 91 ans d'histoire et avec celui du carpintero, cinq décès dus à des cornes de toros ont été enregistrés dans les arènes de Las Ventas : 
 
Le premier, en 1939, fut celui du novillero Félix Almagro, suivi deux ans plus tard par celui du matador Pascual Márquez, des banderilleros “El Coli” (1964) et "El Campeño" (1988).
 
Le 19 avril 1959, en complément du règlement taurin antérieur à cette date et établissant les critères à respecter par les picadores de turno, fut dessinée pour la première fois sur le ruedo venteno la deuxième raie concentrique.
 
« La primera de ellas, en el caso de Las Ventas, se encuentra situada a 7 metros de las tablas y tiene como finalidad que los picadores no la sobrepasen a la hora de citar a los toros para su encuentro con los caballos para recibir el correspondiente castigo con las puyas.
 
La segunda, y más moderna, tiene como objetivo que los lidiadores tengan presente esa marca para que desde ahí el toro se arranque para toparse con los caballos de picar y pueda comprobarse el nivel de bravura del toro, aspecto éste muy valorado por la entendida y exigente afición de la plaza de toros de Las Ventas. ».
 
Le 16 juin 1960, Antonio Bienvenida, peut-être le plus aimé de la dynastie par les aficionados madrilènes, fut l’acteur d’un événement insolite dans l'histoire de la place Las Ventas, lorsqu'il fut annoncé pour combattre deux corridas en « seul contre six » en une demi-journée : une l'après-midi et une autre la nuit. 
 
Après avoir tué le cinquième toro du premier encierro de différentes ganaderías du campo charro qui ne donna pas le jeu attendu et devant un public qui occupait les trois quarts de la capacité de la plaza, Bienvenida, brinda le dernier au public madrilène :
 
« Aunque no os hayáis divertido vosotros ni yo, vengo a daros las gracias por haber venido, porque con lo que está cayendo hay que tener mucha afición para estar ahí. » 
 
Puis, sans vraiment prendre de repos, Bienvenida se prépara pour estoquer le deuxième encierro de dehesas andaluzas.
 
Mais, « Sin embargo, no pudo finalizar completa la gesta pues, tras la muerte del tercer astado, tuvo que ser atendido en la enfermería por agarrotamiento de los músculos de las piernas. 
 
A pesar de que el doctor Giménez Guinea y su equipo médico intentaron el restablecimiento físico del diestro, éste no pudo volver al ruedo y los tres toros tuvieron que ser estoqueados por el sobresaliente Antonio Mahillo, modesto novillero extremeño, que fue obligado a dar la vuelta al ruedo. ».
 
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Le 25 mai 1967… Curro : De la Dirección General de Seguridad au triomphe.
 
Laissons Jacques Durand raconter :
 
« … Le 25 mai, donc, le second toro de Curro, un toro remplaçant de Juan Antonio Álvarez, est manso. 
 
Il refuse d'être piqué. Il n'a pris que des égratignures. Il fuit les chevaux. Les deux picadors essayent de le coincer près du toril. Impossible. 
 
Le président impose qu'on passe aux banderilles. Colère pharaonique. 
 
Curro ordonne à son picador de service de rester en piste. Refus. Le picador a peur. Peur du président, un commissaire de police, du policier en faction dans la contre-piste et du général Camilo Alonso Vega, un ministre qui assiste à la corrida.
 
Il a de bonnes raisons d'avoir peur. On est sous Franco, la police est redoutable et le trouble à l'ordre public dont son maestro veut le faire complice peut lui coûter bonbon. 
 
Curro, selon le récit qu'il en a fait dans le livre d'Antonio Burgos va dire son bon droit au policier de la contre-piste : « Ce toro doit être piqué. » Réponse : « Quoi ? Connard ! Tu veux qu'on pique le toro ? Ton picador va sortir tout de suite, connard ! » 
 
Le picador a entendu la réaction du policier. Il cherche au plus vite à se défiler. Curro prend le cheval par la bride et veut le retenir en piste. En vain. Exit le picador.
 
On en est aux banderilles. Curro pense que le président va sortir le mouchoir rouge pour infliger au toro les banderilles noires, dont le harpon, plus long et plus large que pour les banderilles ordinaires, est censé remplacer peu ou prou l'absence de pique. 
 
Surprise pyramidale : le président sort un mouchoir blanc. Banderilles normales. Curro arrête ses banderilleros, Juan Díaz et Alfonso Muñoz : non, vous ne banderillez pas. Il le redit au policier : « Ce toro est manso, pas piqué, et ne se banderille pas si ce ne sont pas les noires. » 
 
Mais les deux banderilleros ont eux aussi une grosse pétoche de la police. Ils passent outre leur patron.
 
Fin de la séquence banderilles. Sonnerie de la trompette. 
 
Dernier tiers. Dernier tiers ? Curro ne bouge pas. Il ne sort pas du sarcophage, ne prend ni sa montera, ni sa muleta, ni son épée. De la contre-piste il fait, du doigt, signe au président, là-haut dans sa loge, que ce toro, non, il ne le combat pas. 
 
Intervention du policier : « Celui-là, tu vas le tuer, et avec une paire de couilles ! » 
 
Curro : « Ce toro non piqué, je ne le tue pas. » Il attend un quart d'heure que les trois avis sonnent. Le toro rentre vivant au toril. Tempête à Las Ventas. La majorité du public a pris parti pour lui et contre le président. 
 
Fin de la corrida. Les policiers n'arrêtent pas Curro en piste. Ils craignent la réaction hostile du public. Celui qui l'a insulté l'interpelle :
 
« A quel hôtel tu es ? On va venir te parler.
 
Au Wellington. »
 
Curro rentre à son hôtel, se douche, ressasse son évangile aux nombreux journalistes : le toro était manso, pas piqué. Ortega lui a demandé de le tuer quand même, qu'est-ce qu'il en avait à foutre, et lui, il lui a répondu : « Rafael, la question ce n'est pas de le tuer ou pas. La question, c'est que c'est une violation. Le toro n'a pas été piqué parce que le président n'a pas voulu. »
 
Huit cafés. Les policiers arrivent : « Suis-nous ! » Ils l'embarquent pour la Direction générale de la sécurité, Puerta del Sol. 
 
Curro a fait téléphoner à Agustín Roig, un de ses admirateurs, proche de Franco. Il ne veut pas être mis au cachot avec des voyous, surtout la veille d'une corrida. 
 
Effectivement, Roig appelle le marquis de Villaverde, gendre de Franco, qui dépêche à la Puerta del Sol Alfonso de Bourbon y Dampierre, époux d'une petite-fille du dictateur.
 
Du coup, Curro n'est pas mis au cachot. On lui installe un lit dans un bureau. Il peut commander un repas à une cafétéria proche, El Tropical. 
 
Journaliste d’El Alcazar, Julián Candau se déguise en garçon de café et lui amène la boustifaille : jambon, fromage, salade, langoustines, une bouteille de rouge, deux d'eau minérale, huit cafés. 
 
Il en profite pour, en douce, interviewer le prisonnier. L'interview sera publiée le lendemain, mais Candau, par peur de la police, ne dormira pas chez lui pendant une semaine.
 
Curro veut dormir tranquille. Il prend deux pilules au nom rigolo : Dapaz. 
 
Des policiers « curroromeristes » lui demandent des autographes et ce qu'il fout là. Alfonso de Bourbon lui donne l'accolade. Des aficionados se sont agglutinés à la porte de la Direction. Son épouse, la chanteuse Conchita Piquer, lui apporte des draps et son oreiller. 
 
Le lendemain à midi, Curro Romero signe son procès-verbal et prend une grosse prune : 25 000 pesetas d'amende. Il sort du poste à une heure de l'après-midi.
 
Et la corrida de l'après-midi ? Excitation dans le landerneau. Curro va-t-il toréer ? Toréer, lui, il veut. Et pourquoi non ? D'autant que le président de la veille a reconnu qu'il s'était, pour les banderilles, fait un nœud dans les mouchoirs.
 
Selon Curro, les organisateurs de Madrid, en combine avec Diego Puerta et Paco Camino, qui partagent l'affiche avec lui, auraient manœuvré pour qu'il reste au violon afin d'organiser un mano a mano. 
 
Pas question. Curro est engagé, et libre. Il est remonté comme la fameuse pendule que son art magique arrête, disent ses adorateurs. 
 
Il sort de ses bandelettes, se présente à la corrida.
 
Avant la course, froid glacial. Il ne salue ni Camino, ni Puerta, toreros sévillans comme lui, qui ne lui adresseront pas la parole de tout l'après-midi. 
 
Au moment du paseo, Las Ventas ovationne tout le monde, alors que dans l'ABC du jour, le critique Cañabate a éreinté «le Pharaon» : « Pauvres de nous, si les toreros imitaient son exemple. Alors, quand un toro ne leur plairait pas, ils resteraient derrière la barrière en fumant une clope ? [...] C'est tristement honteux. »
 
Deux heures et demie plus tard, tous sortent en triomphe : Curro (1 et 1 oreille), Puerta (idem), Camino (2 oreilles), et le régisseur de l'élevage, Benítez Cubero. Grande corrida.
 
Un sommet de l'art sévillan... »
 
Libération » du 17/05/2007.
 
 (A suivre…)
 
Patrice Quiot