Jeudi 25 Avril 2024
PATRICE
Samedi, 30 Avril 2022
pq30ph
 
Corrida de muerte…
 
 « Du sang. . . Je le sais trop. J’en ai l’horreur,
Où on retrouvera Sabine Sicaud, que nous avions évoquée dans une précédente chronique.
Le remords comme vous qui chérissez les bêtes.
 
Mais ce vertige de soleil ! Cette couleur
Des Goya qui bougent et chantent ce que jette
L’éclat des éventails, des fleurs,
Des lèvres et des yeux sur les plazas en fête
À Séville, à Madrid, partout où l’on entend
Des grelots et des castagnettes. . .
 
Ce décor éclatant
Où des mules aux pompons rouges se profilent... 
 
Ah ! Tout cela, toute la fièvre d’une ville,
Parce qu’un beau toréador aux sourcils noirs
Va passer comme un roi de légende pourrais-je,
Ayant vu tout cela, dites, ne plus le voir ?
 
Ne plus revoir les gradins qu’on assiège,
L’arène fauve où la quadrille décrira
Cette courbe qui s’infléchit vers les tribunes,
Le geste, en rapide salut, d’une main brune
Vers l’œillet qui s’effeuille aux doigts des señoras ;
 
L’or et l’argent brodés ; le chatoiement des soies ;
Dans l’air, cette dansante joie
Où la clef du toril tombe subitement
Comme un défi poignant le cœur sans doute,
 
Faudrait-il échapper à l’ensorcellement
Du mot magique : « A los toros », que chaque route,
Chaque balcon, demain, se renverra,
Bayonne, sous ton ciel aux couleurs espagnoles…
Mais, oublier ? Voyez flotter les banderoles !
Plus haut que les frontons d’Aguilera.
 
Monte cette rumeur, là-bas… Pardonnez-moi,
Taureaux noirs aux beaux yeux sauvages qui s’affolent,
Pauvres doux vieux chevaux ruant d’effroi,
Pardonnez-moi… Devant l’art souple qui se joue
De la mort et la brave - et le cadre où se noue
Le drame préparé dans les ganaderías
Là-bas, au pied vert des montagnes -
Je ne sais plus pourquoi, je ne sais pas
Comment l’amour de ces choses me gagne !
 
Pardonnez-moi de ne plus voir que la beauté
Du poème barbare, et d’oublier l’épée
Sous la cape écarlate...
Il faudrait moins d’été,
Moins de soleil peut-être et de roses coupées,
Moins d’éventails ouverts et de gens qui se hâtent,
Pour dire - le pensant -: Je ne veux plus vous voir.
 
Ô corridas de muerte,
Corridas aux couleurs des romantiques soirs
Dont la muleta saigne entre des rochers noirs
Sur les arènes de la mer luisante et verte… »
 
Sabine Sicaud.
Biarritz (Veille de course.)
« Abeilles et pensées », deuxième année no 2, 1928.
 
Datos
 
Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 à Villeneuve-sur-Lot et morte le 12 juillet 1928 dans la même commune, est une poétesse française.
 
Elle est née et morte dans la maison de ses parents, nommée La Solitude. 
 
Sabine Sicaud gagne son premier prix littéraire à l’âge de onze ans (en 1924) : elle remporte le second prix au Jasmin d’argent, pour son poème Le petit cèpe.
 
En 1925, elle remporte quatre prix, dont le grand prix des Jeux Floraux de France, pour le poème Matin d’automne, écrit en 1922 à neuf ans…
 
En 1926, son premier recueil est publié (Poèmes d’enfants aux Editions Les Cahiers de France), avec une préface signée par Anna de Noailles. La même année, elle collabore à la revue L’Oiseau bleu, revue mensuelle pour enfants, puis l’année suivante à la revue Abeilles et pensées.
 
Durant l’été 1927, elle se blesse au pied. La blessure dégénère en ostéomyélite, sans que l’on identifie précisément le traumatisme responsable.
 
Elle refuse de quitter La Solitude pour se faire soigner à Bordeaux. La maladie gagne tout le corps. Après un an de souffrances et de fièvres, elle meurt le 12 juillet 1928.
 
Patrice Quiot