Mercredi 24 Avril 2024
PATRICE
Dimanche, 12 Juin 2022
dg12ph
 
Six souvenirs de Dámaso...
 
Dimanche 21 juin 1987 : Hôtel «Ritz». Barcelone.
 
13h09 : Dans la chambre 214, Dámaso nous reçoit en pyjama rayé, parle peu, mais nous dit combien il est heureux de combattre les Yonnet avec Christian et Galloso.
 
Le room-service apporte son déjeuner au torero.
 
Trois cloches en argent : dans l’une, un Potaje» ; dans la seconde « Pechugas de pollo » ; dans la troisième : « Frutas del tiempo ». Eau minérale «Lanjarón».
 
 
Dimanche 9 août 1987 : Arènes d’Arles.
 
Alternative de Paquito Leal, Dámaso de padrino et Tomás Campuzano de testigo. Toros de « La Belugue ».
 
18h12 : Dámaso s’avance vers le tendido et brinde son toro à Jean Rossi, Président du « Cercle taurin Dámaso González » de Montpellier : « Pa’ todos vosotros con mi inmenso afecto y cariño ».
 
 
Samedi 20 septembre 1991 : Nîmes.
 
Alternative de Manuel Caballero ; toros de Jandilla ; padrino : Dámaso, testigo : Jesulín.
 
22h24 : Restaurant « Los Toros », rue St Mathieu ; arrivée de Dámaso que « Le Président » était allé chercher à « L’Imperator » ; il passe un très long moment avec nous comme il l’aurait fait avec des amis de toujours et puis s’en va.
 
Seul.
 
 
Vendredi 12 août 1992 : Béziers.
 
Dámaso, Victor Mendes et Joselito ; toros du Marquis de Domecq.
 
Callejón. 19h08 : A Joël Jacobi qui lui demande pourquoi il a descabellé son toro avec l’épée de mort, celui d’Albacete répond : « Parce que ce n’est pas interdit ! »
 
 
Un dimanche de juillet 1993 : Mairie de Palavas.
 
Réception en l’honneur du maestro un mois et quelques jours après la faena historique de Madrid du 2 juin devant un toro de Samuel Flores, alternando con L.F Esplá y Oscar Higares.
 
Nous avions regardé la corrida à la télé et, compte tenu des difficultés que nous considérions comme insurmontables qu’avait présenté l’animal dans les deux premiers tiers, nous nous interrogions nous demandant comment une telle faena avait pu se faire devant le morlaco.
 
11h 46 : Questionnant Dámaso à ce sujet, il nous dit simplement : « Au deuxième capotazo, j’avais vu que le toro était bon ! »
 
 
Un matin de printemps 1994 : Château d’O/Montpellier.
 
Tentadero avec Dámaso. Il ne fait nul cas des anti-corrida qui lui jettent des fumigènes, demande à Jean Rossi de lui faire l’honneur de piquer l’une de ses vaches, offre sa muleta à Marc Serrano, reçoit avec humilité la sculpture en béton et plomb que lui avait dédiée Jean Azémard « Zézé » et s’en retourne chez lui refusant qu’on lui règle les gastos du voyage.
 
Voilà.
 
Loin de nous, « El Lechero » puis Curro de Alba qui, en octobre 1968, à l’occasion d’une de ses premières novilladas piquées con reses de Villamarta à Santistebán del Puerto, partageant le cartel avec Carnecerito de Úbeda, reçut una cornada de caballo en la ingle recousue avec du fil de cordonnier sur un coin de table à égorger les cochons, recouverte d'un linge sale.
 
Mais dans notre affection un monstre de torero qui toréa cent trois fois dans sa ville, ouvrit deux fois la Puerta Grande et se vit refuser celle du Prince alors que, novillero, il avait coupé trois oreilles.
 
Et, au moins aussi important, Dámaso González, un homme qui ayant su faire de l’humilité de ses origines, de son physique disgracieux - « Belmonte, Manolete, Dámaso González, les grands toreros sont laids ; ils ont des pieds trop grands » soutenait l’anarchiste Corbacho, inventeur de José Tomás et de Talavante – et de son épure professionnelle des repères de vie éblouissants donna aux ayatollahs taurins une grande leçon sociale.
 
Dámaso González Carrasco: La terre de la Mancha et ses sillons ; le vol d’un faucon au-dessus de Chinchilla de Monte-Aragón ; l’humble humanité d’un plat de ajo de mataero ; le noir d’une nuit d’hiver à Tomelloso et de certains sentiments humains.  
 
Dámaso González Carrasco : Le noir lumineux d’un tableau de Pierre Soulages.
 
Datos 
 
Dámaso González Carrasco : 11 septembre 1948, Albacete /26 août 2017, Madrid.
 
Attiré par la tauromachie, dès 11 ans à peine alors qu’il travaillait dans l’élevage de vaches de son père, il se mit à traîner dans les capeas des pueblos de la sierra d’Albacete. Il débuta en costume de lumières dans sa ville le 6 septembre 1964 sous l’apodo de Curro de Alba. Aidé par Pedrés, il se roda ensuite dans la partie sérieuse de spectacles comiques jusqu’à son passage en piquée le 8 septembre 1968, toujours à Albacete, aux côtés de Santiago López et d’Antonio Rojas face à des novillos de Villamarta.
 
Avec Camará comme mentor, il explosa en quelques mois dans la catégorie, triomphant notamment sous sa véritable identité lors de sa présentation à Barcelone le 19 mars 1969 en coupant quatre oreilles et une queue, triomphe qui lui valut d’être répété à huit reprises les mois suivants. Valencia, pour ses débuts, le vit couper une autre queue.
 
Présentation à Madrid le 1er juin suivant avec Pepe Luis Segura et Vicente Linares, se faisant blesser légèrement par un de ses novillos de Carlos Nuñez, mais laissant une bonne impression qui lui vaudra d’être répété le dimanche suivant. Séville le verra couper trois oreilles une semaine plus tard, mais le palco lui refusera la Porte du Prince. Le 23 juin, après avoir toréé une vingtaine de novilladas en quatre mois, il affronte six novillos de Benítez Cubero en solitaire à Valencia pour ses adieux de novillero.
 
Le lendemain, à Alicante, Miguelín lui cédait « Gañafote » de Flores Cubero en présence de Paquirri. Son second adversaire lui infligera une cornada à la cuisse gauche après maintes bousculades, ce qui ne l’empêchera pas de poursuivre sa saison avec 25 corridas supplémentaires. L’hiver suivant, il fera sa première campagne sud-américaine, confirmant le 20 décembre à Mexico des mains de Manolo Martínez qui lui cèdera le toro « Amistoso », de Valparaiso, en présence d’Eloy Cavazos.
 
Présentation de matador à Séville en 1970 (sans succès) puis le 14 mai, confirmation à Madrid avec El Viti et Miguel Márquez, « Barranquillo » de Galache, toro de la cérémonie laissant un pavillon dans les mains du torero d’Albacete. 44 contrats cette année-là, puis une année 1971 où Damaso consolide sa position parmi les leaders de l’escalafón.
 
Les années 70 furent marquées par de nombreux contrats (60 à 70 par saison) et de nombreux succès, mais il ne fut jamais un torero de Séville, ne se classant pas parmi les artistes, et eut du mal à conquérir Madrid jusqu’à cette tarde de 79 où il coupa les deux oreilles d’un toro de La Laguna. En 81, il empruntera une seconde fois la Puerta Grande de Las Ventas et sera proclamé triomphateur de la San Isidro. Sa carrière ira a menos par la suite avec sur sa route des ganaderias plus dures.
 
Le 20 septembre 1988 à Valladolid, il se retire une première fois, revenant en 1991 à Nîmes pour donner l’alternative à son compatriote Manuel Caballero. Les trois oreilles coupées ce jour-là l’encouragent à revenir. Il revêtira l’habit de lumières jusqu’en 1994 où il fait une temporada d’adieux.
 
Dernière corrida chez lui à Albacete le 16 septembre avec deux oreilles du toro « Artesano » de Daniel Ruiz.
 
Il fera un nouveau retour dans les ruedos en 2003, cette fois pour donner l’alternative à Matias Tejela. La cérémonie a lieu à Valencia en présence de Joselito. Après une quinzaine de contrats, il mettra fin à sa carrière le 17 septembre à Murcia après avoir coupé les deux oreilles d’un Torrestrella. Il toréa par la suite quelques festivals et s’occupa de sa ganadería.
 
Sa tauromachie se retrouvera dans le toreo d’Ojeda notamment, puis dans celui de la génération actuelle qui use (et souvent abuse) de ce toreo en rond, à l’endroit ou à l’envers, et qui convient au toro actuel souvent statique en fin de faena.
 
PS : Précision pour les collectionneurs de statistiques de tout poil et en tout genre : Entre le 24 juin 1969, date de son alternative à Alicante et sa dernière corrida à Murcie le 17 septembre 2003, «Le Fakir d’Albacete» avait toréé mille cent quarante-sept corridas de toros.
 
Patrice Quiot