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Jeudi, 30 Juin 2022
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L'apprentissage de la tauromachie ou les encyclopédistes (2)…
 
« Le livre de Laurent Tailhade paraît en 1908. 
 
Il n’est pas qu’un livre encyclopédique. On peut le retenir pour son parti pris polémiste. Avant d’expliquer à son tour la tauromachie à ses contemporains, Tailhade règle son compte à un certain nombre d’entre eux. Tout d’abord aux “antis” et puis aux ignares, et à ceux qui ont déjà écrit, mis à part Pero Gil. 
 
Pour lui, la tauromachie elle-même, au début de ce siècle, perd ses valeurs de combat. Au-delà du livre, c’est le personnage qui est ici intéressant. On peut, pour tenter de le saisir, se reporter à la préface de la réédition de 1994, rédigée par Jacques Durand. Il évoque un dandy parisien qui utilise des arguments politiques, religieux, taurins. 
 
Cela est révélateur du climat dans lequel est la société, à la fois lourd, (on est en pleine affaire Dreyfus), et frivole (on assassine avec des mots). 
 
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Que venait faire la tauromachie dans cette galère ? Elle est un objet de discorde de plus à se jeter à la tête, à propos de “vraies” valeurs. Pour saisir cette époque, il est intéressant aussi de faire référence au livre d’Antoine Martin, qui sous la forme de récits, raconte ces années 1900 à Paris.
 
Certains auteurs envisagent la chose taurine comme un prolongement du cirque. Il faut dire que le mélange des spectacles, et la manière dont ils étaient vendus et promus, y sont pour beaucoup. Les troupes au grand complet, hommes et animaux débarquaient dans une ville et devaient tenir en haleine la population, quitte à varier les spectacles. "L’histoire taurine du Havre" écrite par Marc Thorel, est exemplaire de ce phénomène.
 
Armand Dayot est critique d’art ; en 1889, il fait paraître “Les courses de taureaux”, superbement illustré par un certain M. Luque, soit de petits dessins noirs et blancs, soit de dessins couleurs pleine page, de grand intérêt. Parmi les curiosités de ce livre, l’auteur accorde une très large part aux combats entre animaux. Même si ces pratiques n’étaient pas très répandues, elles existaient et visiblement excitaient la curiosité du public, celui-ci peu aficionado et allant aux arènes un peu comme au cirque.
 
Une autre tendance de ces écrits est le désir d’organiser. 
 
Cette position peut paraître légitime puisque ce qui réunit ces textes, c’est le parti pris encyclopédique. Mais au-delà de cela, il y a une tendance française à voir un grand désordre dans cette activité baroque de nos voisins, et à vouloir y mettre un ordre un peu “militaire”. Il y a pas mal de militaires dans nos auteurs.  L’absence de besoin encyclopédique en Espagne fait qu’il n’y a pas d’équivalent et que ces messieurs imaginent que la pensée espagnole est confuse. L’autre aspect est la glorification des vertus de courage et de combat. Celles-ci sont plus facilement mises en avant que l’aspect artistique ou la fête avec son côté contrasté, clinquant et désabusé face à la mort. On ne rencontre pas de discours philosophique, cette période ne permet pas de doutes. La mort de l’homme est d’ailleurs peu évoquée. L’homme est certainement étincelant, mais il est avant tout un gladiateur et il sait, avant tout, des techniques.
 
Monsieur Georges de Frezals est un militaire, il fait paraître son texte dans... la “Revue britannique”. Il est d’abord très pratique et explique au lecteur comment faire pour se défendre d’un taureau qui éventuellement l’attaquerait. Pour ce qui est de la technique, il est question "d’escrime au taureau", (un article d’Armand Dayot de 1883 s’intitule aussi : "Courses de taureaux, l’escrime des toreros"). Les valeurs nobles du combat sont des valeurs militaires.
 
En 1913, le lieutenant d’infanterie coloniale, Léonce André, fait paraître sous le pseudonyme de Plumeta, “La tauromachie moderne” 
 
Plumeta est d’abord un apodo de torero, né dans le Gard, et tout en menant ses études, il tentera une carrière taurine de 1895 à 1899 et deviendra ensuite l’un des fondateurs de l’association de la presse taurine française. 
 
Militaire de carrière, il meurt à la grande guerre. “La tauromachie moderne” est une encyclopédie extrêmement complète. Elle réunit tous les éléments déjà cités, mais aussi, et peut être pour la première fois, des chapitres sont consacrés aux jeux taurins languedociens, camarguais, landais et même malgaches. Nous reprendrons une partie de la lettre préface écrite par Mosca où il remercie l’auteur de lui avoir dédié le livre ainsi qu’à un confrère Nemo: "... Il m’a prié d’être son interprète auprès de toi pour te remercier de l’exquise délicatesse du geste adressé aux deux vétérans de l’aficion militante. A toi qui tout adolescent pratiqua le toreo avec une passion qui ne s’est jamais démentie et qui veille encore au fond de ton cœur de soldat, il appartenait d’expliquer les règles de cet art si complexe. Tu l’as fait avec cette qualité vraiment française : la clarté du style..." 
 
Ce court texte concentre l’esprit militaire de l'époque, l’a priori essentiellement technique retenu, et la rigueur française, le tout dans une ambiance militante.
 
On pointe déjà chez certains auteurs, l’annonce de la fin, ou du moins de la décadence. Dans toutes les périodes, le "ce n’est plus comme avant" assorti de l’annonce de la fin, existe. Les différents auteurs, lorsqu’ils croisaient toutes les tauromachies commerciales, mélangées entre la française et l’espagnole, sans mise à mort, pour des raisons économiques ou politiques, étaient en droit de se poser la question de l’avenir de cet art, si malmené en France. On peut même être étonné de la “foi” qu’ils avaient dans cet art, souvent réduit à l’état de cirque de deuxième catégorie par les professionnels de la corrida eux-mêmes.
 
Pero Gil est rassurant pour l’avenir car il pense qu’il est impossible de modifier la race, qui gardera ses instincts belliqueux. Par contre, il déplore les héritages complexes qui obligent à mélanger les races et qui font disparaître des types, seuls Miura et Veragua semblent épargnés.
 
Georges de Frezals voit déjà la décadence de ce grand art : - même le public espagnol ne connaît pas les règles – les matadors se font payer aussi cher que les chanteurs – les toros n’ont que 4 ans – les pâturages en Espagne sont de plus en plus insuffisants – le transport des taureaux en chemin de fer est une catastrophe. Il préconise une solution franco-française : implanter des élevages en... Algérie !
 
Plumeta est tout d’abord d’une rare méchanceté avec le public, traités de “philistins”, y compris dans le titre d’un chapitre. Philistins égale béotiens, mais aussi mécréants, ce terme était peut être couramment utilisé à cette époque. Dans tous les cas, le public est largement constitué d’imbéciles, sans préciser de différences entre l’Espagne et la France. 
 
Plumeta prend régulièrement un ton docte pour refaire le règlement. Il dit les “erreurs” et il donne la "vérité". A titre d’exemple, il s’insurge, il semblerait à juste titre, contre l’utilisation des banderilles de feu, jugées inadéquates, décomposant un taureau qui n’avait déjà pas besoin de ça.
 
Pour régler le problème, Plumeta propose que tout taureau qui ne supporte pas trois piques rentre au toril et soit remplacé. Il attaque alors avec véhémence les ganaderos et la présidence. Par contre, il prend systématiquement la défense du torero, qui semble être victime de tout un système. On sent à travers son discours, l’importance d’avoir pratiqué.
 
Xavier de Cardaillac arrive beaucoup plus tard. 
 
Il va clôturer la période qui nous intéresse ici. 
 
Nous sommes en 1921. Il exprime d’ailleurs, avec pas mal d’émotion, le plaisir qu’il a de retourner aux toros après cinq années d’interruption liées à la guerre. Il y revient à Bilbao, et il est saisi car il a l’impression d’avoir perdu tous ses repères, il subit un "modernisme forcené" dont les fioritures de passes fantaisistes lui semblent la confirmation. 
 
Son livre d'une certaine manière boucle la boucle en le concluant d'une très bonne bibliographie française critique, reprenant l’ensemble depuis Zolarde. »
 
Sources : Observatoire National des Cultures Taurines / Jean-Jacques Dhomps 05/09/2012.
 
Patrice Quiot