Vendredi 29 Mars 2024
PATRICE
Dimanche, 10 Juillet 2022
za10ph
 
1/09/2020 : Ma première contribution au site «Torofiesta»… Un brindis à Paul Hermé qui a fréquenté le palace…
 
Hostal Zahira.
 
Pour le situer :
 
Quand on sort de la pension, qu’on prend à gauche et qu’on fait deux cent mètres, on arrive à Canalejas où au n°1 on a le « Colón ».
 
On y allait le soir y faire les beaux.
 
Quand on prend à droite en sortant de la même et qu’on fait quatre cents petits mètres après le croisement avec la c/O’Donnell, on arrive sur la place où le Mac Do fait le coin, on ne s’y arrête pas et on tire jusqu’à la confitería «La Campana» dans Sierpes.
 
J’y allais secrètement me gaver de cortadillos de cidra, de lenguas de almendra ou de tortas de polvorón.
 
L’hostal « Zahira » Calle San Eloy, 43, 41001, Sevilla, fut le premier endroit où à la fin des seventies nous descendions.
 
Nous, c’était mon frère, le « Rubio » et moi, accompagnés selon les années de quelqu’un plus.
 
Là, quand on avait passé la porte qui, comme il se doit, était en fer forgé, on arrivait dans le hall qui comme il se doit était carrelé et comme il se doit décoré de plantes grasses dans des pots en faïence aux motifs, comme il se doit, d’azulejos.
 
Sur ces bases, vous aurez compris qu’on était à Séville, d’autant qu’à la réception on avait le privilège de noter un magnifique « Pulse el timbre » écrit au feutre sur un morceau de carton qui côtoyait un « Libro de quejas y reclamaciones » relié en toile et, en face, dans d’admirables cases en contreplaqué couleur crème, on apercevait le tableau des clés grosses comme celles d’un garage, chacune d’entre elles parfaitement identifiée par un numéro inscrit sur une plaque en bakélite marron.
 
De luxe.
 
Derrière le comptoir, nous accueillait un homme flaco comme un palo dont le comptoir arrivait aux épaules, qui parlait couramment l’andalou et qui était sourd.
 
On se fit vite collègue avec lui que bien évidemment on appela plus que « Le Sourd » et qui nous prit en affection parce qu’on aimait les toros ainsi que dire des conneries et lui aussi.
 
« Le Sourd » avait un âge indéfinissable, lisait des bandes dessinées, supportait le Betis et faisait ses dévotions au Cachorro dont la Hermandad « Pontificia, Real e Ilustre Hermandad y Cofradía de Nazarenos del Santísimo Cristo de la Expiración y Nuestra Madre y Señora del Patrocinio en su Dolor y Gloria» a, comme vous le savez, son siège à Triana.
 
Mais comme notre ami ne pouvait aller à la Maestranza dans la mesure où il était également commis à exercer le métier de veilleur de nuit, « Le Sourd » écoutait la corrida au transistor et nous rendait son commentaire lorsqu’on en revenait en nous demandant des précisions sur la prestation d’un tel qui selon lui « como la tortilla, le falta la sal » ou d’un autre tel « que es de aúpa ».
 
C’était le même sourd qui nous réveillait le matin mais, pour le faire, il ne se servait nullement du téléphone qui selon ses codes était trop impersonnel et préférait venir délicatement taper à la porte de la chambre selon le code : « Pa la la, pom, pom ; pa la la, pom, pom ; pa la la pa la.. » et qui, un soir où nous voulions aller dans une casita quelque peu privée, avait eu la délicate attention de nous remettre un petit morceau de papier sur lequel il avait écrit «  Pepi, atiende a estas personas que son ‘uenas ».
 
Nous adorions « Le Sourd » et si on avait pu, on l’aurait ramené avec nous à l’arrière de la 504.
 
A l’hostal Zahira, Calle San Eloy, 43, 41001, Sevilla, les chambres étaient impeccables.
 
Sol en lino vert agrémenté de trous de cigarettes et, ce qui est beaucoup plus rare, pas de télé en face des lits individuels recouverts d’un tissu en une sorte de pilou orangé du meilleur goût qui s’accordait parfaitement à la décoration des murs tendus de papier à rayures.
 
Ce qui était bien, c’est que comme il n’y avait pas de fenêtre, on pouvait concentrer toute notre attention sur les cadres en bois doré qui présentaient des photos de couchers de soleil ou sur les sous-verre qui mettaient en valeur la Giralda et des saints en prière en faisant bien attention, au vu de l’exigüité du lieu, à ne pas les décrocher en enfilant la chemise.
 
Dans le cuarto de baño, au-dessus du lavabo un peu plus grand qu’un petit aquarium, un miroir agréablement piqué, des petites savonnettes vertes « Maja » enveloppées dans du papier vert et des serviettes de bain effrangées, fines comme du papier à cigarettes et qui mesuraient à peine un peu plus de quarante centimètres.
 
A l’hostal Zahira, le service de ménage des chambres était assuré par une femme qui avait à peu près cinquante herbes, pesait sept arrobas, portait une blouse bleue en nylon, était affublée d’une élégante moustache naissante et qui considérait mon petit frère avec une attention toute particulière.
 
Nous avions informé l’hermano de la chose mais il n’en avait eu cure jusqu’au soir où étant remonté prendre un tricot, la douce créature le suivit dans l’escalier avec un regard concupiscent qui obligea le Quiot Jr à s’enfermer dans la habitación et à attendre en observant par le trou de la serrure que la douce ait levé le siège.
 
Quand je vous aurais précisé que ce palace nous avait été réservé par Molina, vous comprendrez qu’il ne pouvait être autrement que ce qu’il était.
 
En sortant de cet endroit de perla fina et pour continuer dans le même registre, nous avions le choix entre deux établissements identiques qui servaient des consommations identiques tirées de tonneaux presque identiques.
 
La seule différence venait des tonneaux ; dans l’un ils étaient gros et dans l’autre petits.
 
Nous, on avait établi notre querencia au «Gros tonneaux» où, un matin à l’heure de l’apéro, nous commandâmes une première tournée composée d’un fino, d’une manzanilla et d’une copita de Málaga, le tout annoté par des croix à la craie sur un autre gros tonneau qui servait de comptoir pour un montant total de 12ptas.
 
La même tournée dix minutes après n’en valant plus que 10 nous conduisit à, bien évidemment, en prendre une troisième.
 
Or le Rubio en ayant son couffle du Málaga orienta son choix vers un Moscatel, ce qui lui valut la remarque du patron : «Hombre, es igual ;  un Málaga es un Moscatel… Un Moscatel de Málaga… ».
 
Pris sur un de ses terrains de prédilection, le « Rubio » essaya de démontrer la différence entre les deux breuvages et suscita immédiatement dans l’endroit une discussion épistémologique entre les clients du lieu qui prirent fait en cause pour l’une ou l’autre des propositions.
 
La conclusion revint cependant au patron qui affirma «Ojú señores, hay Moscatel de todo la’o ; hay Moscatel, de Sanluca’ , hay Moscatel de Málaga, hay Moscatel de Londres, de Moscù, de Pekin’ o Moscatel de Honolulu… ».
 
Circulez, il n’y a rien à voir et balle au centre.
 
Il est certain qu’en sortant du Zahira et après avoir bu un coup au « Gros tonneaux », on avait déjà, à onze heures du matin, vécu deux faenóns d’anthologie qui laissaient augurer du reste de la journée et qui fait que quarante-trois années après, il n’est nullement étonnant que la nuit dernière j’ai rêvé que je retournais au Zahira !
 
 Patrice Quiot