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PATRICE
Jeudi, 21 Juillet 2022
coq21ph
 
Les coquelicots de Benalup…
 
« Sitôt levé, on court à sa table, on s’escrime des heures durant à tirer le texte de sa chambre, à le faire sortir de prison. » (Serge Velay)
 
J'ai rêvé l'autre nuit que je retournais à Benalup.
 
Les coquelicots y fleurissaient partout.
 
Ils étaient bleus.
 
Immenses, ils s’accrochaient aux collines de Medina-Sidonia, descendaient vers Vejer de la Frontera et l’Atlantique.
 
A Casas Viejas, leur odeur enivrait les toros de légende et, à San José de Malcocinado, elle parfumait le patio de la venta « El Soldao » qui les servait, juste comme ça, mais aussi frits en beignets ou en accompagnement d’une perdrix au riz.
 
Dans le soleil noir des renards faméliques, je fredonnais la vieille copla :
 
« Amapola, amapola,
 
De amor en los hierros de tu reja.
 
De amor escuche la triste queja,
 
De amor que sonó en mi corazón,
 
Diciéndome así con su dulce canción ».
 
 
J'ai rêvé l'autre nuit que je retournais à Benalup.
 
Les coquelicots devenaient écrivains.
 
Ils dénonçaient à l’encre rouge les injustices latifundiaires, les spéculations des traders en col blanc et le béton des plages de la Costa de la Luz.
 
Aux surfeurs allemands de Tarifa et aux suédoises de Chiclana, ils préféraient les pêcheurs de Barbate, les mendiants de San Fernando et les truites du Guadalete.
 
Dans le soleil jaune d’un verre de manzanilla, je fredonnais la vieille copla :
 
“Amapola,
 
Lindísima amapola,
 
Será siempre mi alma tuya sola.
 
Yo te quiero, amada niña mía,
 
Igual que ama la flor la luz del día. »
 
 
 
J'ai rêvé l'autre nuit que je retournais à Benalup.
 
Les coquelicots devenaient des grands prêtres qui célébraient les vierges des champs, vierges en crinoline : Vierge de la Soledad épanouie comme une immense tulipe, Vierge du Carmen dans sa barque de lumière, Vierge du Rocio, étoile de cristal sur le fleuve qui roule de la calle Iris jusqu’à la mer.
 
Dans le soleil des saetas troubles des cantaoras de Paterna de la Rivera, je fredonnais la vieille copla :
 
“Amapola, 
 
Lindísima amapola,
 
O seas tan ingrata y ámame.
 
Amapola, Amapola,
 
Cómo puedes tú vivir tan sola ! ”
 
 
J'ai rêvé l'autre nuit que je retournais à Benalup.
 
C’était le printemps d’une nouvelle année.
 
Et c’était drôlement bien.
 
Patrice Quiot