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PATRICE
Vendredi, 22 Juillet 2022
cay22ph
 
Toros y people : Cayetana…
 
Belle, elle ne l’avait jamais été.
 
Mais elle était aimablement jolie avant que son premier mariage, six maternités et, au fil des années, les avanies du temps et de la chirurgie esthétique, aient fait que Cayatena ne ressemblait qu’à elle-même.
 
Et c’est de cette Cayetana au palco real de la Maestranza dont on se rappelle.
 
Cayetana s’appelait María del Rosario-Cayetana-Paloma- Alfonsa- Victoria-Eugenia-Fernánda-Teresa-Francisca de Paula-Lourdes-Antonia-Josefa-Fausta-Rita-Castor-Dorotea-Santa Esperanza Stuart-Fitz-James y Falco de Silva y Gurtubay.
 
C’était  la 18e duchesse d’Alba de Tormes, 11e duchesse de Berwick, 11e duchesse de Liria et Xerica, 17e duchesse de Huescar, 4e duchesse de Arjona, 17e duchesse de Hijar, 12e duchesse de Almazán, 10e duchesse de Montoro, 14e comtesse-duchesse d’Olivares, marquise del Carpío, de Coria, d’Elche, de la Mota, de San Leonardo, d’Almanara, de Castaneda, de Sarria, de Tarazona, de Villanueva del Río, de Villanueva del Fresno, de Barcarrota et de la Algaba, de San Vicente del Barco, d’Orani, de Mirallo, de Valdunquillo, marquise de Moya et d’Osera (deux titres hérités de l’Impératrice Eugénie), 14e comtesse de Lemos, de Lerín, connétable de Navarre, comtesse de Monterrey, de Osorno, de Miranda del Castañar, d’Andrade, d’Ayala, de Fuentes de Valdepero, de Gelves, de Villalba, de San Estebán de Gormaz, de Fuentiduena, de Casarrubios del Monte, de Palma del Río, de Galva et de Ciruela, de Santa Cruz de la Sierra, de Ribadeo, de Modica, de Guimera, vicomtesse de La Calzada, le tout agrémenté de 16 grandesses d’Espagne de première classe.
 
Elle était la fille de Jacobo, 17e duc d’Alba de Tormes, et de Maria del Rosario de Silva y Gurtubay, marquise de San Vicente del Barco, des ducs de Aliaga.
 
Et toute sa vie, par sa position sociale en Europe, son immense fortune, grâce à son tempérament exceptionnellement anticonformiste et rebelle à toute contrainte, à sa forte personnalité, elle aura réussi à se maintenir à la une des médias de son pays, à demeurer l’excentrique figure de proue de la haute aristocratie espagnole aux côtés de la duchesse de Medina Sidonia, la “duchesse rouge” ou de la duchesse de Medinacelli.
 
Elle était presque aussi populaire en Espagne que les membres de la Maison royale à la grande époque de la restauration de la Couronne. Et plus connue que la plupart des figures politiques depuis l’avènement de la démocratie.
 
Les journaux écrivent sans sourciller dans leurs colonnes que la duchesse d’Albe était la personne la plus titrée au monde après la reine de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord. 
 
Ils écrivent aussi que la duchesse d’Albe aurait eu le sang plus bleu que personne au monde. Une idiotie, “una tontería”, rétorquait Cayetana que ces surenchères ridicules agaçaient.
 
Dans son pays, l’Espagne, où de tous temps on a prisé les déferlantes de titres ronflants, où Charles Quint déversait sur les traités la multitude de ses titres impériaux et royaux quand François 1er, en réponse, avait la suprême élégance de n’user simplement que de son titre de roi de France, en Espagne, et même dans toute l’Europe, la duchesse d’Albe était effectivement la personne la plus titrée de tous les membres de la haute noblesse.
 
Née à Madrid au palais de Liria, le 28 mars 1926, là où son arrière-grand-tante, l’Impératrice Eugénie, s’était éteinte six ans plus tôt, Cayetana est orpheline à huit ans d’une mère morte de tuberculose qu’elle n’aura quasiment pas connue par peur de la contagion. Elle aura pour parrain le roi Alphonse XIII et pour marraine la reine Victoria-Eugénie dont elle portera les prénoms.
 
Cette année-là, Cayetano Ordóñez, « El Niño de la Palma » (1904/1961) était leader de l’escalafón avec 78 corridas toréées.
 
Son père, le duc d’Albe, décidant de suivre Alphonse XIII en exil, elle se retrouve enfant à Paris, regagne l’Espagne pour sa première communion, fuit la guerre civile, pour résider dès 1936 à Londres où le duc d’Albe a été nommé ambassadeur par le régime franquiste.
 
Elle y passera le temps de la guerre, sous les bombes, non loin de ses lointaines cousines Churchill… avant d’épouser en grande pompe, au cours de fêtes d’un luxe inouï, le fils des ducs de Sotomayor, Luis Martinez de Irujo y Artazcoz le 12 octobre 1947, à Séville
 
« Tras la ceremonia, a la que acudieron 3.000 personas, la familia, amigos y personalidades fueron hasta el Palacio de Dueñas disfrutaron de un banquete ofrecido por Perico Chicote en unos salones presididos por grandes obras de arte donde podían verse a algunos de los antepasados de los anfitriones: Eugenia de Montijo, obra de Odiel o la duquesa de Montor captada por Zuloaga. Tal como recoge el ABC de la época, la joven también pidió que se sirvieran mil comidas entre los pobres de Sevilla y su padre pagó 5.000 pesetas a todas las parejas que ese mismo día se casaron en la capital andaluza: nueve. Ese fue el motivo de que a Cayetana siempre le doliera que parte de la prensa (la extranjera, la española estaba bien controlada) hablara de "la boda más cara del mundo" no precisamente en un tono elogioso ».
 
« Islero» avait tué «Manolete» un mois et 16 jours avant.
 
Luis Martínez de Irujo y Artazcoz sera le père des cinq fils de la duchesse d’Albe : le duc de Huescar, le duc de Hijar, le comte de Siruela, le marquis de San Vicente del Barco, et le duc d’Arjana, ainsi que d’Eugénie, sa fille, duchesse de Montoro, tous membres actifs de la société espagnole, banquiers, économistes, éditeurs, juristes, artistes ou cavalier célèbre comme le duc d’Arjana, Cayetano Martínez de Irujo.
 
Vie mondaine au palais de Liria, détruit par l’aviation franquiste durant la Guerre d’Espagne, mais reconstruit par les soins de Cayetana à la suite de la mort de son père.
 
Après le palais royal, le palacio de Oriente, le palacio de Liria est la plus somptueuse demeure de Madrid où les Albe conservent des œuvres d’une richesse inouïe accumulées au cours des siècles.
 
Amitiés internationales (Grace de Monaco, Audrey Hepburn, Charlton Heston, Jackie Kennedy, Yves Saint-Laurent…), liens durables avec les artistes dont Picasso qui voulait peindre Cayetana nue à l’instar de Goya représentant en “maja desnuda” sa maîtresse et 13e duchesse d’Albe, María del Pilar Cayetana de Silva y Álvarez de Toledo ; concerts, expositions, maternités, la vie de la duchesse d’Albe, à qui la télévision espagnole consacra une première émission en 1966 avant de porter sa vie sur le petit écran avec le film “Duquesa”, sa vie, à l’entendre, fut une vie normale.
 
Quand meurt son premier époux, la duchesse d’Albe jette son dévolu sur un ancien jésuite au nom prédestiné, Jesús Aguirre y Ortiz de Zarate, chose qui fait jaser dans l’Espagne de 1978.
 
Veuve une seconde fois, elle causera un autre scandale en épousant à 85 ans un tendron sexagénaire, Alfonso Díez y Carabantes, malgré l’opposition farouche de ses fils qu’elle vaincra en leur accordant à chacun quelque 110 millions d’euros, en distribuant ses palais, ses innombrables propriétés, ses domaines, composantes d’une fortune qu’on évalue aujourd’hui entre 2 et 3 milliards d’euros.
 
Une fortune incalculable en fait quand on songe aux collections des Stuart-Fitz-James, à l’immensité de leurs domaines, au nombre de leurs résidences dans toute l’Espagne…
 
Elle conserve à son usage l’un des plus ensorcelants palais de la Maison d’Albe, ce palais de Duenas, à Séville, où elle s’est éteinte des suites d’une gastro-entérite ayant dégénéré en pneumonie.
 
A Séville, cité qu’elle a tant aimée, elle qui était folle de flamenco et de courses de taureaux, de musique andalouse et de sevillanas, elle qui n’hésitait pas à danser dans la rue avec cette décontraction dont l’aristocratie espagnole fait volontiers preuve au milieu du peuple.
 
Bien des Espagnols en avaient fait une icône. Parce que le peuple adore ceux dont il est irrémédiablement éloigné. Parce qu’elle était fantasque, familière, dotée d’un caractère entier et d'une intelligence fort moyenne ; parce qu’elle jouait à être proche des petites gens, qu’elle se dévouait à des œuvres humanitaires, à la conservation du patrimoine, ce qui est bien le moins quand on jouit d’une telle fortune et qu’on a bénéficié de surcroît d’énormes fonds de la Communauté européenne dans le cadre de la politique agricole commune.
 
En découvrant le patrimoine de la famille ducale et en ouvrant ses archives au public, en créant la Fondation “Casa de Alba” dont la gestion est confiée à ses fils, Cayetana Stuart-Fitz-James y de Silva a assuré la pérennité de ce patrimoine fabuleux comprenant des documents inestimables, des œuvres de Ribera, Murillo, Zurbarán, Velásquez, Goya, Zuloaga, de Fra Angelico, de Rubens ou du Titien, d’Ingres, de Corot, Renoir, Chagall ou Picasso. Jusqu’aux portraits de Napoléon III et de l’Impératrice Eugénie peints par Winterhalter.
 
La Ville de Séville avait fait de la duchesse d’Albe sa “Hija Adoptiva” en 1966.
 
Quarante ans plus tard, en 2006, l’Andalousie lui donnera le titre de “Hija Predilecta”.
 
A son décès le 20 novembre 2014, pour lui rendre hommage, la municipalité sévillane a décrété une journée de deuil officiel (la ville d'Alba de Tormes en a décrété trois), a ouvert l’hôtel de ville de la capitale andalouse afin d’aménager la chapelle ardente abritant le cercueil ducal recouvert des armes de la Maison d’Albe et du drapeau espagnol frappé des trois fleurs de lys de la Maison de Bourbon.
 
Cette année-là, Juan José Padilla occupait la pole position de l’escalafón avec 67 corridas.
 
Devant la dépouille de Cayetana Stuart-Fitz-James ont défilé près de 80.000 personnes venues rendre hommage à la duchesse dont le corps sera incinéré.
 
Ses cendres seront déposées d’une part dans la chapelle de la Fraternité des Gitans, en l’église del Valle, à Séville, et dont elle avait contribué à financer la restauration et d’autre part dans le mausolée des ducs d’Albe, près de Madrid.
 
Cayetana avait composé son épitaphe.
 
Laconique et suprêmement orgueilleuse dans sa simplicité :
 
“Aqui yace Cayetana, que vivió como sintió.”
 
(Ci-gît Cayetana, qui a vécu comme elle le sentait.)
 
Elle aurait pu convenir à un torero…
 
Patrice Quiot