Vendredi 19 Avril 2024
PATRICE
Mercredi, 17 Août 2022
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Les arènes d’Alban…
 
« … Pour Alban, chaque arène avait sa physionomie, chaque plaza avait sa vie propre comme une personne.
 
Celle de Vitoria, haute et sévère comme un couvent ; 
 
celle de Madrid, vénérable et quelconque au sable rougeâtre ;
 
celle de Tetuán, face à la sierra bleu pâle ; celle de San Sébastián, face à la mer bleu foncé ;
 
celle d’Aranjuez dont les fenêtres ont l’étroitesse des meurtrières ; 
 
celle de Vista Alegre, appuyée d’un côté sur des arcs-boutants ainsi qu’une cathédrale, avec ses portes en fer forgé et ses grilles par où on plonge à l’intérieur ;
 
celle de Tolède, couleur saumon et qu’on voit de loin, située à l’extrémité de la ville comme le gouvernail d’un navire ou comme la barque qu’il traîne derrière lui ; 
 
celle de Cordoue, si entourée de maisons qu’on ne peut l’embrasser de nulle part ;
 
Celle de Ségovie, pareille à un cirque romain, mais dominée par une cheminée d’usine ;
 
celle de Séville, au sable jaune canari, et qui du dehors n’a pas l’air d’une plaza, la plus singulière qui soit avec ses arceaux, ses balcons, ses pots en motifs, ses chaînes suspendues, par places éclatante d’un badigeonnage à la chaux et par places noire de vieille saleté et enjolivée comme l’est, paraît-il, la tauromachie sévillane ;
 
celle de Jerez, la plaza pâle, si vieille et laide et cahotante, chamarrée de réclames, et dedans un sable incolore comme les selles d’un homme malade du foie ;
 
celle de Nîmes, décorée de phallus, la plus vaste et la plus noble de toutes ;
 
celle d’Arles aux froids couloirs de pierre qui ont des aspects de basilique ;
 
celle de Bayonne rouge comme une construction marocaine ;
 
celle de Marseille, si peu espagnole avec ses arbres poussant à même entre les gradins au milieu du peuple.
 
Tous les sanctuaires, il les connaissait tous et ceux mêmes où il n’avait pas assisté au culte, sa première visite dans la ville et parfois sa seule visite avait été pour eux.
 
Mais aucun n’était impressionnant comme celui de Medina de los Reyes.
 
C’était bien le type de ces petites de village où, sous les ordres et le désordre des jouvenceaux prêts à tout, toréent des vieillards calamiteux et terrorisés.
 
A l’écart de la ville, comme une chose sainte ou une chose maudite, étant l’une ou l’autre, si l’on veut.
 
Basse comme les forts – pas six mètres de haut – ramassée comme une bête qui va bondir, sans un jour sur le dehors, pire qu’une prison… »
 
Henri de Montherlant
 
« Les Bestiaires (1926) ».
 
Datos
 
Henry Millon de Montherlant, né le 20avril 1895 à Paris et mort le 21 septembre 1972 dans la même ville, est un romancier, essayiste et dramaturge français.
 
Souvent désigné sous le seul patronyme de Montherlant, il est l'auteur de quelque 70 ouvrages et il est notamment connu pour son roman Les Jeunes Filles (1936-1939) et ses pièces de théâtre La Reine morte (1942), Le Maître de Santiago (1947) et La Ville dont le prince est un enfant (1951).
 
Il est élu membre de l'Académie Française en 1960.
 
C'est à Bayonne, en 1909, à 14 ans que Montherlant découvre la corrida. Dès 1910, en Espagne, il s'initie à la pratique de la tauromachie, il affronte et tue son premier toro.
 
1925: c'est le retour en Espagne et à la pratique tauromachique. Il se lie d'amitié avec Juan Belmonte qui lui fait découvrir l'Espagne profonde. Dans un pâturage, Montherlant affronte imprudemment un toro et est gravement blessé.
 
Les Bestiaires: Dans le roman, le héros s'appelle Alban de Bricoule, jeune garçon sous lequel il n'est pas interdit de discerner un autoportrait de Montherlant adolescent. Alban a reçu pour sa première communion un exemplaire de Quo Vadis : « Depuis ce temps, peut-on lire dès les toutes premières lignes du roman, Alban était Romain. Il avait sauté les pages consacrés à l'apôtre Pierre. » Et encore : « Le mot arène avait sur lui un pouvoir électrique... » Alban assiste donc d'abord à des courses dans le sud de la France, le pays taurin, puis descend jusqu'à Madrid.
 
A Hendaye, il entend la langue espagnole, « comme la voix de la femme aimée ».
 
A 15 ans, il part pour l'Andalousie prendre des cours de tauromachie et affronter le toro.
 
Patrice Quiot