Vendredi 29 Mars 2024
PATRICE
Lundi, 12 Septembre 2022
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La Reverte (1)…
 
« A cette époque, on se peignait « à la Reverte », on portait des chemises plissées et les chapeaux «à la Reverte», on déambulait avec une canne comme Reverte et des admiratrices jetaient en piste des éventails. Avec, Reverte avait la galanterie de faire un quite à un toro. A cette époque, l'Espagne perdait Cuba et vendait les Philippines en chantant des rengaines à la gloire de ce torero, et tous les pianos mécaniques, de Valencia à Manille, serinaient la « Novia de Reverte » : la « fiancée de Reverte, olé/ a un mouchoir/ avec quatre picadors, olé/ et Reverte au milieu ». Il était adulé jusqu'en Amérique du Sud et au Portugal. A son passage, les étudiants jetaient leurs capes à terre pour qu'il y marche dessus. » écrivait Jacques Durand dans «Libération» du 28 août 2003.
 
« Mais qu’en est-il de La Reverte ? 
 
Homme ou femme ? », interrogeait ABC le 15 octobre 1911.
 
La polémique ébranla le monde de la tauromachie dans l’Espagne présidée par José Canalejas*.
 
Et il n’est facile de percer le mystère qui entoura cette figura qui triompha dans plus d'une dizaine des plazas les plus importantes du pays.
 
Comme le rappelait ABC alors que le scandale était sur toutes les lèvres depuis un certain temps : « Le gouverneur de Bilbao a exigé les documents qui justifient le changement de sexe [...]. »
 
La Reverte donne la migraine aux torophiles.
 
Tous les aficionados se posent la question : Torero ou torera ?
 
L’empresa de la Plaza de Vista Alegre, à Madrid, insiste sur le fait qu'il s'agit d'une femme.
 
Mais celle de la Plaza de Indautxu, à Bilbao, maintient sa plainte selon laquelle il s'agit d'un homme.
 
L'histoire de María Salomé Rodríguez Tripiana, alias “La Reverte”, commence en 1888, l'année où elle fait ses débuts avec Machaquito et Lagartijo Chico.
 
Après avoir abandonné son travail dans les mines de La Carolina et d'Arquillos, à Jaén, elle part avec ces deux grandes figuras se faire un nom dans les arènes de Saragosse, Madrid, Grenade, Valence, Murcie, Séville, Lisbonne et d'autres villes portugaises.
 
Et y parvient en réussissant à pallier son manque de technique et de style par d'incroyables démonstrations de courage qui font exploser les taquillas et un tabac dans les principaux journaux de l'époque qui suivent sa carrière avec une grande curiosité et sans le moindre soupçon sur son sexe.
 
« La Reverte est très courageuse, mais je ne suis pas pour le féminisme taurin », commentait le critique taurin de « El Enano » en janvier 1899.
 
«Es muy valiente y muy morena. Capea, banderillea, mata y salta la barrera como un hombre. Tiene mucha decisión, pero nada más » ajoute "La Correspondencia de España" en novembre 1900.
 
Dans les reseñas de ses corridas et de la part des aficionados, La Reverte reçoit autant d’applaudissements que d’insultes. Elle entend les louanges les plus généreuses et les reproches les plus machistes. Toujours dans «El Enano», à l'occasion d’une de ses faenas en 1900, on pouvait lire: « El becerro destinado a la matadora doña María Salomé era un bicho colmenareño. Según nos dicen, más chico que los lidiados por el sexo fuerte y de color castaño [...]. En su quinto estuvo muy valiente y mejor que los hombres». De son côté, la revue «El Toreo» signalait en 1899 : «María Salomé demostró mucha valentía en la muerte de sus toros. Como dice un colega de la corte, nos ha demostrado que es una mujer con toda la barba».
 
Et à Barakaldo (Biscaye), en novembre 1905, l'hebdomadaire «La Fiesta Nacional» assurait: «La Reverte ha estado superior con el capote, haciendo mil filigranas y oyendo grandes ovaciones. Con el estoque también tuvo fortuna, despachando sus tres toros con cuatro buenas estocadas y siendo aplaudida. Una gran tarde para la torera».
 
Salomé continua ainsi jusqu'à l'été 1908 lorsque les gouverneurs civils reçurent un ordre du ministre de l'Intérieur de l'époque, Juan de la Cierva*, interdisant aux femmes de combattre dans l’arène. Le télégramme était ainsi rédigé : « L'opinion publique a protesté à plusieurs reprises contre la pratique qui s'instaure dans les arènes de certaines femmes participant au combat de bétail sauvage […]. Ceci constitue un spectacle impropre, opposé à la culture et à tout sentiment délicat. C'est pourquoi j'ordonne que, dorénavant, toute représentation taurine dans laquelle se produiraient des femmes soit interdite ». ABC rapporta la nouvelle mesure sous la forme suivante :
 
«Los aficionados a las emociones taurinas experimentaron un grave contratiempo. Iban a ver torear en Tetuán a La Reverte, la joven torera que, como tenga la misma afición a coser que a estoquear novillos, será una excelente mujer de su casa. Pero va la autoridad y... ¿ qué hace ? Pues prohíbe la corrida»…
 
A suivre…
 
Datos 
 
*José Canalejas Méndez, né le 31 juillet 1854 à Ferrol et mort le 12 novembre 1912 à Madrid, est un avocat et homme d'État régénérationniste espagnol.
 
Il est ministre de l'équipement, de la Justice, de l'économie, du budget et de l'agriculture, de l'industrie, du commerce et des travaux publics durant la régence de la reine Marie-Christine, puis président du Conseil des ministres et de nouveau ministre du développement et ministre de la Justice sous le règne d'Alphonse XIII.
 
*Juan de la Cierva y Peñafiel (Mula, 11 mars 1864 - † Madrid, 11 janvier 1938) était un avocat et homme politique espagnol.
 
Il fut ministre de l'Instruction publique et des Beaux-arts, de l'Intérieur, de la Guerre, du Budget et de l'Équipement durant le règne d'Alphonse XIII, puis de nouveau ministre du Développement durant la dictature de Primo de Rivera…
 
Patrice Quiot