Jeudi 28 Mars 2024
PATRICE
Lundi, 17 Octobre 2022
arl17ph
 
Arlequin…
 
Pour l’année, ce serait celle de toujours.
 
Celle des grandes tables d’amis au soleil retrouvé, celle du Guadalquivir, de l’Adour et du Gardon aux étoiles, celle des grillons qui chantent.
 
Pour le mois, ce serait un de ceux du printemps en un brin d’avril, un zeste de mai avec un soupçon de juin.
 
Pour le jour, dans le shaker du barman noir de « L’Ambos Mundos » de La Havane d’Hemingway, ce serait un peu du lundi de farolillos sans le mardi du « Tres de Mayo » et le mercredi des Cendres, une dose du jeudi de Pégoulade, une goutte du vendredi de Daniel Defoe avec une touche de samedi de compras à « Hypercor » et un rien de dimanche au bouquet mélancolique et lourd des mots. 
 
Pour l’arène, ce serait un peu de Nîmes parce que c’est Nîmes, un peu de Dax pour le parc et les moucharabiehs, un peu de Séville pour le fleuve et un chouia de Madrid pour le run-run.
 
Pour l’affiche, ce serait un mescladis de Bacon, Arroyo, Chambas, Pires, Arman, Ginac, Gilles, Parsus, Garouste, Loren, Formica, Clément, Godebski avec, sur un caballo d’espuma, un aveugle manchot de la clinique des Sophoras.
 
Pour la place, ce seraient, sans hésitation aucune, le tendido 10 de sol y sombra fila 4 de Séville et les gradins en bois du vomitoire 110 de Nîmes.
 
A midi, on aurait déjeuné de lechuga con cebollas, d’anchoïade, de boquerones fritos et de fougasse d’Aigues-Mortes accompagnés d’un blanc des Costières ou d’un autre sans lignage de la tierra de Jerez.
 
Cervantès présiderait, la banda serait uniquement de violons, le callejón occupé par les « Mères de Mai » du Chili et l’acto débuterait à l’heure d’Oulan-Bator.
 
Les trajes seraient d’une pure tradition vénitienne mâtinée d’apports andalous : velours losangé et multicolore assemblé au cuir craquelé des cordonniers cordouans et au brocart des processions pascales, unissant dans un même esprit du Sud, l’Italie à l’Espagne, la tarentelle à la saeta, le David de Michel Ange au temple submergé de l’Hercule gaditain, le rire à la convulsion.
 
Sonneraient les clarines.
 
« Clarines de la plaza de toros, clarines de las lágrimas de San Pedro, de los Laudes de la Pura y Limpia, o cornetas de las procesiones del Sábado de Gloria y de los ensayos de la Centuria Macarena.»
 
Alors s’ouvrirait la porte du toril.
 
Et sortirait le toro de Gilgamesh qui jetterait dans la bataille les treize grands vents : Le Vent du Nord, le Vent du Sud, le Vent d’Est, le Vent d’Ouest, le Vent-Souffleur, le Vent-Tourbillon, le Vent-Mauvais, le Vent-Poussières, le Vent-Gel, le Tourbillon, la Tempête, la Tornade et l’Ouragan.
 
«Blanquet» le parerait à une main ; du burladero de lidia, Martín Recio et Maxime l’observeraient et conjureraient le ciel de Joaquín Camino Sánchez, de José Manuel Calvo Bonichón «Montoliú » et celui de Ramón Soto Vargas.
 
Quatre véroniques de Curro Vásquez et, au centre du ruedo, la demie de Morante.
 
Celle de Séville.
 
Puis, Antoñete pour une seconde, genoux en terre.
 
Celle de Madrid.
 
Roberto Domínguez mettrait Gilgamesh en suerte et Martín Toro lui donnerait la première pique.
 
A caballo levantado.
 
Quite abanicando de José Maria Dols Abellán « Manzanares » et de José Luis Feria « Galloso ».
 
«Badila » donnerait la seconde pique en todo lo alto suivie de trois lances mains jointes de Salomon Vargas, le gitano de Triana, pour laisser Gilgamesh au « Pimpi » qui clôturerait le tercio.
Les trois picadores salueraient castoreño en mano, au son de « L’Allegro Maestoso » de la « Symphonie concertante pour violon et alto » de Wolfgang Amadeus.
Chaves Flores mettrait en suerte le fils du démon Lilū et de la vache Lo, de la race royale d'Argos, pour Miguelín et une première paire al sesgo por fuera ; Maxime irait lidiando pour el sesgo por dentro de la seconde paire par Christian et «Blanquet» pour la troisième et le quiebro de «Paquirri».
Paganini, Isaac Stern y Yehudi Menuhin joueraient ensemble « Manolete » y « Denis Loré ».
Les gabians voleraient autour de l’arène et dans le ciel passerait le « Concorde 001 » à destination de Bahrein.
De pie la gente.
 
Alors que la pluie « qui fait des niagaras aux fourmis » de Hugo commencerait à tomber, d’un tremblement de son menton prognathe Belmonte brinderait le Gilgamesh aux mineurs révoltés des Asturies, au désert d’Atacama, à François-René de Chateaubriand, à Iván Fandiño et à Víctor Barrio.
 
L’encanto des quatre doblones et demi en gagnant le centre de Paco Camino Sánchez lors de la Beneficencia du quatre juin mille-neuf cent soixante-dix ouvrirait le flacon d’un  « Habit Rouge » de Guerlain que ne connaîtront jamais les damnificados des ghettos de Varsovie, de Carabanchel ou de Soweto.
 
Les mêmes ne connaîtraient pas non plus les cinq derechazos de « Cagancho » - les mêmes que ceux de Tolède du 9 mai 1927 qui suivraient et au sujet desquels on ne saurait que réitérer ce que réitérait Corrochano : « Ces choses gitanes se sentent, se chantent, se pleurent, mais ne peuvent s’écrire » - rematés de deux passes de poitrine du Viti.
 
«El óxido sembró cristal y níquel ».
 
Sur les gradins, on préviendrait déjà les jasmins et dans le ruedo « La luna de par en par ».
 
Et puis, et puis… la suite.
 
La locura 64 du Cordobés, trois naturelles 67 d’Ordóñez comme celles données au Benítez Cubero, trois ayudados 68 de Teruel identiques à ceux du Carlos Nuñez de Ronda, l’entrega 89 de Christian devant les Guardiola, le dernier Victorino de Stéphane à Tyrosse le 24 juillet 2011, l’épée 73 de José Antonio Galán et le Miura de Pamplona et celle 81 de Paquirri à Séville qui foudroya l’Osborne après que le torero eut fait un clin d’œil à celui des gradins qui, dans le silence, lui avait crié : « Paco, mata lo bien pa’ El Bétis » et, en 86, le descabello du Viti donné en marchant à Palavas.
 
C’est fini.
 
Seize passes, deux estoconazos y un descabello.
 
Nada más.
 
Gilgamesh est mort.
 
 
 
Et « Un niño trajo la blanca sábana ».
 
C’est fini.
 
 
 
Seul demeure.
 
Cet Arlequin.
 
Patrice Quiot