Vendredi 19 Avril 2024
COSTALERO
Dimanche, 23 Octobre 2022
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On le voit dans le ruedo, mais il n’est pas torero. Pourtant, sans lui, pas de sortie a hombros possible. Ludo Luccini est costalero…
 
Un terme espagnol que l’on peut traduire par porteur, plus précisément sur les épaules. Qu’il faut avoir larges, bien sûr, et solides. Avec une morphologie d’atlhète, pas de problème de ce côté-là, le gaillard est solide, et à ce jour, pas un seul torero ne s’en est plaint ! Voulant en savoir un peu plus sur cette fonction particulière, je l’ai rencontré récemment afin qu’il rentre un peu dans le détail sur un rôle qui a son importance dans le baisser de rideau d’une corrida triomphale… 
 
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« Je viens du village d’Eygalières, ma famille y vit depuis quatre générations. Je suis adjoint aux festivités depuis trois mandats et étant natif d’Arles et ayant de la famille aux Saintes-Maries-de-la-Mer, j’ai toujours baigné dans le milieu taurin, beaucoup avec les taureaux de rue, mais aussi avec Christian Chomel et le cocardier Barraïé que je suivais partout durant ma jeunesse.
 
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Eygalières n’a pas d’arène fixe, mais une fête populaire très réputée y est organisée. Avec notamment Albert Chapelle et sa manade qui pendant trente ans est toujours venu sur Eygalières tout cela m’a fait rendre amoureux de tout ce qui touche aux traditions taurines.
 
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Ensuite est venu l’attrait pour la corrida, d’abord équestre avec Mendoza et son cheval Cagancho, ainsi que Cartagena que je voyais sur les Saintes. Puis Sébastien Castella, qui m’a fasciné petit à petit, et comme je n’ai jamais fait les choses à moitié, comme pour l’OM et la chasse, j’ai commencé par voir une corrida, puis deux…
 
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Je n’ai jamais été assez courageux pour penser me réaliser dans les toros, mais en qui concerne le rôle de costalero, c’est venu progressivement. Quand on est jeune, on se paye des amphis, puis on descend un peu plus bas et on essaie de s’infiltrer dans le monde de ceux qui gravitent dans ce milieu. Je voyais les porteurs des toreros, alors espagnols pour la plupart. On finit par se renseigner et l’amitié avec l’entourage de Sébastien m’a permis de rencontrer des mozos, d’avoir un peu plus confiance. J’ai alors fini par pouvoir sortir le Biterrois a hombros, ce qui a tout déclenché.
 
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Au tout début, je ne sortais que lui, un privilège que je n’avais encore que dans certaines arènes. Après avoir mis un pied dedans, je me suis renseigné de façon plus précise sur le fonctionnement dans ce milieu et j’ai fait la connaissance de pas mal de mozos et d’ayudas français, certains qui ont le même âge et les mêmes passions. C’est comme ça que peu à peu, j’ai eu des opportunités.
 
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Mais ce qui a fait que les portes se sont finalement ouvertes, c’est que je n’ai jamais fait ça pour l’argent. J’ai alors eu la confiance de ceux qui n’ont aucun budget, ainsi que celle des organisateurs parce qu’il faut aussi qu’ils vous laissent passer car on n’arrive pas dans le callejón comme ça. Il y a un service de sécurité souvent draconien, il faut donc être aussi en confiance avec ces personnes pour pouvoir accéder jusqu’aux toreros quand les trophées obtenus correspondent à une prochaine sortie a hombros.
 
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En fait, c’est règlementé et respectueux. Des personnes comme le Chino, Paco, Enrique, vivent de ça. C’est donc envers eux un total respect, même si ça a été parfois assez compliqué de leur faire comprendre que je le faisais pour le plaisir car il y avait une incompréhension par rapport à l’argent. Donc, je suis arrivé très doucement, vis-à-vis des français, je ne cache pas qu’il y en a peu qui vivent de ça. Eux, ils se déplacent jusque dans les grandes arènes pour le faire car c’est tout de même un travail en lui-même. Certains areneros en font un privilège, dans le Sud-ouest ce sont eux le plus souvent qui portent, bien que plus généralement, c’est principalement un rôle de porteurs espagnols. Mais dans les plazas plus modestes, avec le coût de la vie, on ne les voit plus. Ce qui a laissé place au début à quelques ouvertures… 
 
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Après, il est évident que la personne qui décide de qui portera son torero, c’est le mozo de espadas. Mais le plus dur, ça a été tout de même de se faire accepter par les porteurs espagnols pour ne pas leur lever leur gagne-pain. De fait, j’ai toujours eu une entente cordiale avec eux car ça ne me changera pas la vie. Je le répète, je fais ça par plaisir et ils ont compris que ce n’était pas pour moi une source de revenus. Il faut savoir qu’avec les toreros, ça fonctionne avec la « propina », le pourboire Les trois-quarts du temps, c’est zéro, ce ne sont qu’avec les grands toreros ou les sorties dans les arènes importantes comme Séville ou Madrid que c’est confortablement rémunéré. 
 
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Le jour de la corrida, je sais à peu près qui sera présent chez les porteurs. J’envoie un petit message aux mozos ou à l’ayuda et quand je vois si les trophées obtenus vont déboucher sur une sortie a hombros, là je peux intervenir. 
 
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En fait, je suis très rarement invité. Je paie la plupart du temps une place pour voir la course et dès que je vois qu’il y aura une possibilité de porter, j’anticipe. Je me fais alors annoncer par message, comme je l’ai déjà précisé, mais il faut aussi connaitre des placiers pour pouvoir atteindre les endroits les plus bas. Quand j’ai la confirmation que je pourrai porter, je me mets en rapport avec les agents de sécurité et ils me font alors accéder sans problème au callejón.
 
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Outre Sébastien Castella, les toreros les plus réputés que j’ai portés sont Andrés Roca Rey, grâce à la bonne relation que j’entretiens avec son mozo Manuel Larrita, Ponce, Talavante, Manzanares, El Juli, López Simón, Paco Ureña, Juan Bautista, Rubén Pinar… plus bien sûr pas mal d’autres toreros de chez nous, comme Andy Younes.
 
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Juli à Séville ? C’était pour la Feria d’Avril cette année, avec sa septième grande porte, et comme j’avais de bonnes relations avec plusieurs porteurs, dont le Chino, j’ai pu le faire sortir par la fameuse Porte du Prince. Je ne cache pas que les costaleros n’ont plus trente ans et que comme dans ces grandes arènes, c’est un véritablement un combat au niveau des bousculades, quelque part ça les arrange ! Et surtout, ils savent que l’enveloppe du torero sera redistribuée avec cohérence.
 
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Comme Juli a coupé les trophées nécessaires pour prétendre sortir par la grande porte, le coup devenait jouable et depuis ma porte 10, me voilà faire le tour pour accéder à celle qui donnait sur le callejón. Le Chino était là, il m’a présenté et fait entrer. Il faut savoir que dans les grandes pistes, il arrive qu’ils soient plusieurs, en se relayant, pour sortir un torero, donc après qu’il l’ait porté autour du ruedo, arrivés devant la grande porte, alors que c’était télévisé, qu’il y avait de nombreux aficionados français dont des amis, il m’a fait prendre le relais et avec une évidente émotion, je suis alors entré en quelque sorte en mêlée ! Il faut protéger le torero, éviter que la bousculade se transforme en chute. Il fait alors la planche, en étant balloté de tous côtés, et moi, je dois résister. Donc on gaine, comme on dit dans le milieu du sport, de façon à pouvoir accéder, avec l’aide de la police, jusqu’à son fourgon. 
 
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Concernant ceux qui entourent torero et costalero, il s’agit le plus souvent de jeunes des écoles taurines, comme celle du pays d’Arles, et moi j’insiste pour qu’ils puissent le faire. On voit désormais tous ces petits, avec la couverture de Mathias, le plus grand, qui viennent montrer que la corrida n’a pas d’âge. Ce sont tous des enfants issus du milieu taurin et pour la plupart venant des écoles taurines d’Arles et de Nîmes. 
 
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La résistance physique ? Evidemment, il ne faut pas être frêle car un torero pèse autour de 60/70 kg, un costume 5/6 kg. Dans une arène comme Arles, par exemple, où il faut en plus lui faire monter des marches, puis en descendre d’autres, je ne cache pas qu’il vaut mieux avoir une bonne condition physique ! Pour résumer, ce qui compte le plus, ce sont les épaules et les jambes, et surtout… il ne faut pas le faire tomber !
 
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Mes meilleurs souvenirs ? Forcément, il y en a pas mal, comme les débuts de Sébastien, et en définitive, ça me fait plaisir de l’avoir sorti autant de fois en France. Séville pour Juli, un souvenir qui restera gravé à jamais, encore Sébastien à Arles avec ce costume qui est toujours mon fond d’écran, mais aussi Roca Rey, pour une entente formidable avec son mozo Larrita qui m’a permis de le sortir plusieurs fois alors qu’il est actuellement l’incontestable numéro un, et encore Manzanares…  Pour le futur, j’espère un jour porter un torero pour sortir par la Puerta Grande de Las Ventas et j’attends avec impatience le retour de Sébastien ! Quant au torero que je n’ai encore jamais porté et que j’aimerais bien avoir un jour sur mes épaules… Morante ! »
 
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Comme il est coutume de le faire pour les maestros, Torofiesta souhaite le meilleur pour Ludo, quasi incontournable point d’appui pour les plus illustres fessiers de l’escalafón ! Suerte, maestro !