Vendredi 29 Mars 2024
PATRICE
pq24ph
 
Antonio pour John…
 
« Au bord de la rivière, les tambours remplissent l’air de l'après-midi et approche la Semaine Sainte. 
 
La première fleur blanche fleurit sur les orangers. 
 
Je viens de la clinique où je suis allé te voir, torero. 
 
C'est la même clinique où j'étais allé voir le fils de Pepe Luis hospitalisé pour une cornada, celle des nuits de douleurs.
 
Ta cornada à toi, John, en a été une grosse.
 
Une cornada de la vie qui t’a fait entrer à la clinique sur tes deux pieds.
 
Les informations te concernant, probablement enregistrées sur l'ordinateur par la femme de garde des urgences, diront que tu es né à Philadelphie, à peu près la même année que Curro est né à Camas. Mais, comme l'a écrit le poète que tu lisais : « Le cœur ne se trouve pas là où on est né à la vie, mais là où on s'est réveillé pour l’aimer. »
 
Ton cœur? 
 
Lui qui t'a mis la cornada identique à celle de Talavera quand sonnaient les tambours du printemps, lui qui t’a infligé la blessure sombre semblable à celle de Pozoblanco alors qu’éclataient les fleurs d'oranger, ton cœur, lui, appartenait à Séville.
 
Je t’y ai vu débuter.
 
John Fulton Short « El Yankee », disait le cartel.
 
Je me souviens de ton désir et de ta volonté de triompher, même face au cynisme et au sarcasme.
 
Toi aussi, Curro Camacho, tu t’en souviens ?
 
Toujours le sarcasme, toujours la guasa qui se moque de « l'Américain trop grand ». ".
 
On dit que Séville ne demande pas le «carné».
 
A toi, ils l’ont exigé à chaque instant.
 
 
Je viens de la clinique parce que je voulais te voir, John.
 
Comme s’il avait reçu une cornada de plus, je sais que Curro Carnacho a été lui aussi blessé par l’indifférence que te témoigne cette ville que tu aimes. 
 
Et j'espère que tu continueras à l'aimer, car je ne veux pas croire ce qu'ils m’affirment quand ils disent que tu n’es tenu à la vie que par un fil végétal. 
 
Je pense à ta détermination à être un Sevillano et l’image du jasmin me vient à l'esprit.
 
Petite fleur piquante et tenace venant d'un pays lointain et faisant de Séville sa maison. 
 
Je refuse de croire que tu pourrais être juste un végétal toi, si lyriquement humain, qui à travers ton art métamorphose en un minéral dur, brillant et transcendantal le sang du toro.
 
Tu es un torero, un peintre, un artiste. 
 
Obstinément amoureux de Séville.
 
Maintenant dans ta galerie de la Plaza de la Alianza.
 
Mais bien avant, tu le fus avec ton capote et ta muleta. Sans que personne ne te comprenne ou comprenne ton dévouement à Séville. Tu as porté son nom à travers le monde avec les livres écrits avec Robert Vavra et Séville n'a toujours pas répondu. 
 
Tu as répandu son nom à travers les États-Unis avec tes peintures, et toujours aucune réaction de ta ville bien-aimée. 
 
Parce que tu as toujours été, John, un homme de la « Frontière ». 
 
Tu as toréé plusieurs fois à Tijuana et cette frontière t'a marqué à jamais. Tu connais mieux que quiconque les frontières intérieures impénétrables de Séville et ces fameux péages d'autrefois où les douanes exigeaient une taxe pour toute marchandise quittant Séville. 
 
"Va argo? " (Qu'avez-vous là ?) 
 
Il y avait toujours un prix à payer.
 
 
Tu as lu Hemingway et tu es tombé amoureux de l'Espagne. 
 
D'autres vont aux San Fermines à Pampelune pour se saouler et courir avec les toros. Toi, tu es venu à Algeciras et à Séville pour être un torero. Les Américains ont commencé à penser que tu n’étais plus l'un d'eux à cause de cette folie.
 
Mais les Andalous ne t’ont jamais considéré comme l'un des nôtres à cause de l'idée que tu avais de considérer le toreo comme l'un des Beaux-arts. 
 
C'est avec cette même illusion que tu viens de concevoir de nouveaux costumes de lumières pour Curro.
 
En pure soie ; pour un gentleman, comme toi. 
 
Cette barrière, John, cette terrible frontière est celle de celui qui n'appartient à aucun monde sauf à celui de la beauté et qui la cherche à chaque instant de sa vie comme tu l'as cherché. 
 
Et la délicatesse de ton intégrité.
 
 
 
La dernière fois que nous nous sommes vus, John - t’en souviens-tu ? -, c'était un matin pluvieux de janvier devant la cathédrale. Tu étais avec El Niño del Sol Naciente. Tu allais me parler du racisme et des barrières de Séville envers ton protégé japonais. Avec ton tact, pour qu'il ne l'entende pas, tu lui dis avec tendresse :
 
« Tu n'as pas besoin d'aller à la banque ? Vas-y et attends-moi là-bas ... »
 
Et c'est alors seulement que tu m’as parlé de la géographie difficile des frontières de Séville subie par Sol Naciente. Sans haine. Avec compréhension. 
 
C'est pourquoi tu comprendras peut-être, John, la double douleur de Curro Camacho et la mienne, en voyant que dans cette clinique, dans une petite pièce pour amis fidèles, il n'y avait pas de taurins mais seulement la terrible solitude de tes frontières. 
 
Je pars et la fin d'après-midi est pleine du son des tambours.
 
 
 
La nuit sera un jasmin en fleurs. »
 
Antonio Burgos le 13 février 1998 dans « El Mundo de Andalucía » alors que John Fulton était dans le coma à la clinique du Sacrado Corazón de Séville où il décéda le 28/02/1998.
 
Datos
 
John Fulton Short.
 
25/051933 – Philadelphie/28/02/1998 – Séville
 
Né dans un quartier pauvre de Philadelphie, le jeune garçon, inspiré par la performance de Tyrone Power dans le film « Arènes sanglantes » tiré du roman de Vicente Blasco Ibáñez, va s'entraîner dans des fincas mexicaines. Puis il part pour l'Espagne en 1956, où les matadors américains apparaissent comme une curiosité.
 
Le 29 juin 1958, il torée sa première novillada et reste cantonné dans des spectacles de second ordre jusqu'en 1961, année où il connaît un premier succès au  Puerto de Santa María avec une sortie a hombros, ce qui l'encourage à se présenter à Madrid. Malheureusement, sa performance madrilène est un échec. Mais des “figuras” comme Antonio Ordóñez, Jaime Ostos et même Juan Belmonte l'encouragent. Il prend l’alternative le 18 juillet 1963 à Séville avec pour parrain José María Montilla et pour témoin César Faraco devant des taureaux de la ganadería de Félix Moreno Ardanuy. Il devient ainsi le troisième matador yankee après Harper B. Lee et Sidney Franklin. Il confirme son alternative à Madrid le 12 octobre 1967. Mais, alors qu'il est relativement reconnu en Espagne, il se heurte au Mexique à une forte opposition du “mundillo” et il ne pourra pas confirmer son alternative à Mexico.
 
Il met fin à sa carrière triomphalement le 2 avril 1994 à San Miguel de Allende (Mexique) en affrontant des taureaux de Casablancas. Il coupe deux oreilles.
 
Le 28 février 1998, alors qu'il était retourné à Séville, il meut victime d'une crise cardiaque. Le maire de la ville ordonne pour lui des funérailles de matador sévillan : ses cendres font une vuelta al ruedo des arènes de la Real Maestranza de Caballería de Séville.
 
John Fulton était aussi illustrateur, créateur d'habit de lumières, galeriste. La « John Fulton Society » a créé un musée à sa mémoire avec des illustrations, photographies, projections de films. Il a publié plusieurs ouvrages parmi lesquels : « Lament for the Death of a Matador » : « Four Paintings Based on the Poem Llanto Por Ignacio Sanchez Mejias by Federico García Lorca » et un traité de tauromachie : « Bullfighting », éditions E P Dutton, 1971.
 
Il s’est également occupé de la carrière d’aspirants toreros. C'est le cas notamment du japonais Atsuhiro Shimoyana « El Niño del Sol Naciente.
 
 
Antonio Lorca López (Arahal, 17 de febrero de 1954) es un periodista español, crítico taurino del periódico El País y autor de varios libros. A lo largo de su carrera profesional ha desempeñado cargos como miembro del Consejo Asesor de Radio Televisión de Andalucía, director de comunicación en la Confederación de Empresarios de Andalucía hasta 2013 y miembro del profesorado de títulos propios de la Universidad Internacional de Andalucía.
 
Como periodista y crítico taurino inició su labor en 1992 en El Correo de Andalucía pero también en El Sol y en El País, donde se encargará de la información taurina junto con Joaquín Vidal hasta la muerte del veterano periodista en 2002, momento en el que asumirá la dirección de los contenidos sobre tauromaquia.
 
Como experto en comunicación taurina, ha participado en ciclos como los organizados por la Universidad de Sevilla, donde se analizó el estado y futuro de la crítica taurina como género periodístico, o en las Jornadas taurinas de la Universidad de Granada.
 
Libros 
 
Pepe Luis Vargas : la fuerza de una pasión (Sevilla: Rodríguez Castillejo, 1987).
 
La mirada del tiempo: memoria gráfica de la historia y la sociedad española del siglo XX [Prólogo] (Madrid: El País, 2006)
 
José María Javierre: la sonrisa seductora de la Iglesia (Salamanca: Sígueme, 2010).
 
Pepe Luis Vázquez: torero de culto (Sevilla: El Paseo, 2017).
 
Patrice Quiot