Vendredi 19 Avril 2024
Jorge Soler : Des toros plein la tête…
Dimanche, 29 Mai 2011

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Jorge Soler n’est pas un aficionado comme les autres. Aux arènes, on le reconnaît à sa blouse blanche, car s’il aime la corrida, et avant tout le TORO, il est là aussi, et surtout, pour son travail...

En tant que taxidermiste, il observe la morphologie, les attitudes de l’animal, son regard, son allure et son comportement. Pour lui, tous les détails comptent car il aura ensuite à reconstituer le plus fidèlement possible ce qui fait la caractéristique de chaque toro. Il attend un coup de fil, un mozo qui va le voir, et l’affaire sera réglée. Qu’elle vienne d’un ganadero, d’un torero, d’une empresa ou d’un aficionado, la commande sera enregistrée et le toro réservé.…

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La suite, c’est tout un cheminement pendant des mois, des heures de travail dans son atelier, beaucoup de passion et de patience, de technique et de maitrise, tout un univers dont chacune de ses œuvres ne sera ni plus ni moins quelque part que le reflet visuel de la corrida.…

Cette passion, cet héritage de ses maitres, cette soif du détail et de la justesse des traits, Jorge nous la raconte en nous faisant pénétrer dans son univers particulier qui remplit son aficion…

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"Je suis originaire de Barcelone et depuis tout petit, vers l’âge de six ans, mon grand-père m’emmenait souvent à la Monumental. J’ai pénétré rapidement ce milieu, j’étais très intéressé par les animaux, je suis d’ailleurs plus torista que torerista, et pour moi, naturaliser une toro, c’est immortaliser un petit « morceau » de l’histoire de la tauromachie.

Petit à petit, je m’intéressais de plus en plus aux élevages et j’ai assisté à beaucoup de corridas aux quatre coins de l’Espagne. Quand j’ai mieux connu ce milieu, vers l’âge de vingt ans, j’achetais des têtes de toros dans les abattoirs et je les revendais aux professionnels. Je me suis pris au jeu, j’allais dans pas mal d’arènes et progressivement, je m’intéressais à la taxidermie. C’est une technique particulière que j’ai apprise d’abord en regardant les autres, en apprenant d’eux, car il n’y avait pas d’école pour ça.

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A Barcelone, il y avait à la Plaza Real un taxidermiste assez âgé et réputé qui s’appelait aussi Soler et les gens pensaient d’ailleurs que j’étais son petit-fils ! Mais je n’avais rien à voir avec lui, je ne l’ai d’ailleurs pas connu, c’était simplement une homonymie... En revanche, j’ai alors connu un grand maitre de la taxidermie, que j’avais parfois l’occasion de rencontrer aux arènes et avec qui je parlais, je m’intéressais beaucoup à ce qu’il faisait et j’étais très attentif à la moindre de ses explications parce que dans ce domaine, c’est comme ça qu’on apprend.…

La taxidermie est une technique très délicate parce que chaque toro est différent. Il faut regarder beaucoup de corridas et apprendre progressivement. Crois-moi, au début, j’ai jeté pas mal de têtes à la poubelle !!! On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, mais c’est comme ça que le métier est rentré.…

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Pour exercer cette activité, il faut être très observateur et aimer les animaux. En ce qui concerne les toros, il est donc clair qu’il faut être aficionado, observer la corpulence, la musculature, les mouvements et les attitudes des toros, au campo comme dans l’arène, s’en imprégner pour les reconstituer au mieux.

Naturaliser un toro, ou du moins sa tête, c’est un cheminement très long puisqu’il faut compter environ cinq mois entre le moment où le toro est combattu et celui où il sera livré au client. C’est toute une histoire qui trouve son prologue dans l’observation de son vivant, aux corrales puis aux arènes. En fait, tout commence le jour où je connais le cartel. Une fois qu’il est annoncé, je commence à préparer mon travail et parfois, les commandes se font en amont. Ensuite, je propose au client de voir le toro vivant, je lui donne rendez-vous aux corrales pour qu’il voie le toro qu’il compte réserver.

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Nous avons une hiérarchie dans les commandes et sauf cas particulier, l’ordre de réservation se détermine ainsi : ganadero, matador, empresa puis aficionado. Il m’est arrivé à Barcelone un cas épineux où le ganadero puis le matador qui avait coupé deux oreilles m’ont demandé la tête d’un toro, j’ai dû trancher sachant que j’allais faire un déçu, mais c’est l’éleveur qui a eu la tête. J’estime que c’est normal car c’est lui qui a élevé le toro. En général, ils s’arrangent, mais là, ils y tenaient tous les deux…

Quand je suis avec des clients, je leur montre les toros aux corrales et je les préviens que les éleveurs et les matadors ont la priorité. S’ils demandent une tête, ce sera pour eux, c’est pourquoi je leur conseille d’en retenir plusieurs… pour être sûrs d’en avoir une !

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En France, les clients sont plus connaisseurs, ils s’informent, s’intéressent et savent exactement ce qu’ils recherchent. Par exemple, j’ai eu un jour un bon client qui m’a demandé un toro jabonero, de Juan Pedro Domecq lidié par Sébastien Castella ! Heureusement, je lui ai trouvé deux ans après à Alicante !

Cette culture tauromachique que possèdent la plupart des aficionados français a été d’ailleurs un facteur déterminant dans ma décision de venir m’installer en France. Quand j’ai commencé à connaître certaines personnes impliquées dans le milieu taurin, quand j’ai vu l’engouement et la vitalité de cette passion pour les toros comme on peut la voir chez vous, je n’ai plus hésité ! C’est vrai que la zone taurine est plus limitée et d’ailleurs je continue de travailler aussi en Espagne, mais je pense avoir fait le bon choix grâce justement à l’importance des manifestations et événements culturels liés en France à la tauromachie.

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L’étape suivante de mon travail, c’est la corrida. Il faut être prêt pour récupérer les toros, ou du moins leur tête. Une fois que tous les papiers sont en règle, par rapport notamment aux services vétérinaires, je me munis de tous les renseignements nécessaires à partir du sorteo. Ensuite, je note tout ce qui se passe en piste, du comportement du toro à l’octroi des trophées ou d’une éventuelle vuelta. Puis je prends les commandes, en respectant toujours cette hiérarchie, soit parce qu’un mozo vient me voir, soit en recevant un coup de fil.

Une fois que le toro est arrastré, je marque les cornes d’un coup de feutre et je pose un plomb sur la peau de la tête. Ensuite, je fais faire la découpe horizontalement pour ne pas abîmer la peau. Il me faut alors aller à l’abattoir où il y a un protocole administratif, je passe d’abord dans une salle de dépeçage avant de pouvoir récupérer la tête. Après, il faut encore que j’attende deux ou trois jours avant de prendre possession de la tête car il doit être procédé à une série d’analyses. Comme l’abattoir est à Alès, les jours où il y a une corrida le matin, il faut que je fasse vite et souvent, j’arrive aux arènes juste pour le début de la corrida de l’après-midi. C’est une véritable course contre la montre !!!

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Une fois que la feria est finie, je retourne dans la salle de stockage pour récupérer les têtes. Nous sommes très contrôlés mais je me munis toujours de toutes les autorisations. Ensuite, je regagne mon atelier et je place les têtes dans le congélateur. Puis je vais tanner la peau en Espagne où j’ai toujours un atelier. Après environ six semaines, je remonte les peaux pour travailler les têtes dans l’ordre des commandes.

A un moment donné, nous avons la tête en matière polyuréthane d’un côté et la peau de l’autre, et ensuite il faut faire l’assemblage définitif, une opération laborieuse, méticuleuse et délicate qui nous contraint de travailler avec des photos pour restituer au mieux le rendu et l’allure de chaque tête. Ça passe par des clichés aux corrales, puis dans l’arène pendant la lidia et enfin au desolladero, en particulier pour respecter les mesures des cornes que je note précieusement dans un cahier.

Ensuite, je travaille la matière, qui a évolué au cours des années, et à présent, j’utilise une mousse spéciale qui me permet de sculpter du mieux possible. Grâce à cette matière, aux clichés et aux mesures réalisées en amont, j’arrive à reproduire la tête initiale dans ses moindres détails. Vient ensuite le séchage et sa surveillance des plus attentives. Enfin, il ne me reste plus qu’à poser le cordon tressé aux couleurs de la ganadería et la plaque sur laquelle se trouvent toutes les informations concernant le toro, le torero, la plaza de toros et la date.  C’est un travail de haute précision qui est très risqué dans la mesure où il faut que le torero ou l’éleveur reconnaisse le toro qu’il a lidié ou élevé !

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Ce métier demande de grandes facultés d’observation, les photos ne venant qu’en complément. Tout ça vient évidement avec l’expérience et le fait d’être aficionado compte aussi énormément. Il faut aimer la sculpture, mais il faut aussi aimer le toro !

Il m’arrive de naturaliser d’autres animaux, je sais le faire, mais je ne suis pas chasseur. Celui qui a chassé toute sa vie va donner à ses têtes une allure particulière, soucieux du moindre détail, et le fini ne sera pas le même. Moi, je vais aux arènes depuis l’âge de six ans et cette observation continuelle du toro m’aide beaucoup dans le soin apporté au moindre détail. C’est en cela qu’être aficionado est très important pour exercer cette spécialité.…

Je garde aussi des têtes qu’on ne m’a pas commandées car il me faut du stock pour mon catalogue. Tous les détails sont consignés dans mon cahier et outre les têtes que me réservent les professionnels, j’en ai aussi quelques-unes en réserve pour les éventuelles commandes des particuliers. Quand je choisis des toros, les critères peuvent correspondre à la qualité d’un torero, du toro, du résultat en piste, mais aussi de la beauté d’une robe, de sa morphologie.… Si je parle souvent des têtes, il est évident que je fais aussi des toros entiers, des frontals, et des produits dérivés avec les peaux, comme des sacs, ou des peaux entières tannées.…

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Au niveau de la commercialisation, ça passe par mon atelier pour les professionnels et certains clients fidèles.… Nous avons aussi notre site internet : pronatoro.com

Avec la crise, tout est devenu plus difficile et pour vivre de ce métier, compte tenu de l’investissement, y compris en matériel et en temps, il faut beaucoup diversifier pour s’en sortir. Outre les professionnels, il y a aussi un petit débouché avec les collectionneurs, des particuliers qui savent exactement ce qu’ils veulent, qui sont exigeants, et je me dois de respecter leurs goûts, mais aussi le monde du spectacle. Ce sont eux aussi qui nous font vivre et avec Natie, nous essayons toujours de créer des produits nouveaux pour répondre le plus fidèlement aux demandes…"

Contacts : www.pronatoro.comCette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. – 06 71 62 36 58