Dimanche 28 Avril 2024
PATRICE
Lundi, 12 Décembre 2022
pq12ph
 
Recuerdo mosellano : Le faenón de la voisine d’en face…
 
Réglée comme le toreo d’Ortega Cano.
 
Précise comme la montre des avis.
 
Prévisible comme une chronique d’«Artillero».
 
La voisine d’en face déjeunait à midi pile, dînait à 19h 15 et fermait les volets à 20h.
 
 
 
Elle vivait là depuis 22 ans, ne travaillait pas, était abonnée à «Nous Deux», ainsi qu’aux promos de «Leader Price».
 
Elle devait avoir quarante-cinq ans et était mariée avec M. Blaireau. 
 
Quelques années de plus que Cristina Sánchez de Pablos, mariée avec M. Da Silva.
 
 
La voisine d’en face passait ses vacances chez la cousine de Marienthal, la gamine allait à l’école chez les sœurs et le papa devait voter du mauvais côté.
 
Une famille différente de celle des Gómez Ortega de Gelves ou des Soto Moreno de Jerez de la Frontera.
 
Et qui ne devait pas faire son quotidien d’espinacas con garbanzos et d’huevos a la flamenca.
 
 
Une analyse trop rapide de cette sociologie ménagère pourrait amener à des conclusions assez logiques mais cependant trompeuses.
 
 
Car la voisine d'en face était étonnante.
 
Elle, son truc monomaniaque, son goût exclusif, sa joie de vivre, son bonheur secret, sa petite madeleine, son grand-œuvre, son Pernod du dimanche, son aficion… c’était la lessive !
 
Figura máxima de la colada, elle était.
 
 
 
Aprovechando el viaje, elle tirait profit des moindres bienfaits de la température pour satisfaire son gusanillo avant que les frimas hivernaux venant du pays des ours polaires la condamnent au sin categoría de l’étendage indoor.
 
Alors, dès que le mercure dépassait les 4° centigrades et qu’un maigre rayon de soleil réchauffait les pieds de rhubarbe, le pommier rabougri ou l’herbe du jardin tondue ras et finie au ciseau, hop-la, Maman s’arrimait à lessiver et à étendre sur l’étendoir gris dont elle essuyait méticuleusement les fils avant chaque utilisation.
 
 
 
Stakhanoviste d’«Omo».
 
Activiste de «Vedette».
 
Enrique Ponce de la pince à linge.
 
La voisine d'en face lavait et étendait tout :
 
 
 
Des draps rayés, des torchons à carreaux, des serviettes de table en coton, des sorties de bain en bouclette, des chemises en pilou à manches longues, des chemises en flanelle à manches courtes, des tee-shirts sans manches, des polos avec dessus la tronche de Donald, les pantalons et les marcels de Papa, les baskets de fifille, le nounours en peluche de la même, le sac dans lequel elle range le pain, les sacs en plastique du «Cora» de Longeville, les sacs de congélation  du «Thiriet» de  Creutzwald, une manique grise en titane, deux maniques en coton rose, les gants de toilettes de la liste de mariage, les éponges de cuisine et la couverture en celluloïd qui protège le barbecue que Pépère a fabriqué avec des matériaux de récup de la mine et dont il a la charge exclusive.
 
 
 
Domingo Ortega de l’hygiénisme domestique, elle décimait la camada du panier de linge sale.
 
 
 
Je me souviens avec une émotion toute particulière d’un de ses plus grands triomphes.
 
Ce jour d’octobre 2011 où elle avait donné trois faenas lavandières de légende :
 
La première à 9h12 ; la seconde à 12h46 et, à 17h22, elle finissait de rentrer la troisième dans une grande banaste jaune en prenant bien soin de quitter ses zapatillas et d’en essuyer les semelles avec un chiffon accroché à un clou au coin de la terrasse avant de rentrer préparer le frichti du soir.
 
Enorme elle fut.
 
 
 
L’entrega de «Paquirri» dans son positionnement avec la corde à linge, le sens des terrains pour la meilleure exposition des caleçons aux rayons de Phébus, la méticulosité du Viti pour accrocher les chemises sur les perchas, la grâce de Cepeda pour faire disparaître les plis des bénards, la main droite de Roberto pour l’alegría de la chose et la gauche de José Antonio pour se gratter délicatement la fesse.
 
 
 
Una estampa.
 
L’Antonio Bienvenida du 16 juin 1960, día del Corpus, quand à Las Ventas, il avait tué une corrida l’après midi et une autre le soir.
 
 
 
La musique avait joué «Alexandrie, Alexandra», toutes les campanas de St-Avold avaient sonné et le lendemain, le « Républicain lorrain » avait titré «  Un faenón de saucisses blanches ».
 
C’est vous dire l’éxito !
 
 
 
Alors, après le troisième charroi et la pluche des pommes de terre, fourbue, défaite, épuisée mais heureuse, la voisine d’en face était sortie fumer une cigarette au burladero du volet roulant.
 
 Les yeux perdus dans le vague du soleil se couchant sur l’usine carbochimique de Carling, les lèvres entrouvertes palpitant de satisfaction béate, clone d'une Emma Bovary du 57 se désespérant du tirage du jour du « Keno », j’imagine qu’elle demandait à la Macarena des machines à laver le linge que le lendemain encore il fasse beau !
 
 
 
«Hay gente pa’to» disait Rafael le chauve…
 
 
Patrice Quiot