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Samedi, 17 Décembre 2022
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Sans toros : Un dimanche de finale avec Camus…
 
« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois… » (Albert Camus).
 
Le 23 octobre 1957, au Parc des Princes, le Racing Club de Paris reçoit Monaco sous les caméras des “Actualités françaises”.
 
Suite à une frappe d’un joueur monégasque et d’une erreur du gardien parisien, la balle finit au fond des filets. Le reporter se tourne alors vers un spectateur debout en imper-cravate qui n’est autre qu’Albert Camus, 44 ans, tout juste auréolé de son prix Nobel.
 
Les malheurs du goal du Racing reçoivent l’indulgence de l’écrivain : 
 
Il ne faut pas l’accabler. C’est quand on est au milieu des bois que l’on s’aperçoit que c’est difficile
 
La lecture des carnets d’Albert Camus permet de comprendre l’homme et sa traversée dans le monde. Il y confie à la postérité ses souvenirs d’enfance et nous révèle tout particulièrement ce que le football a apporté à sa construction d’homme.
 
Orphelin de père alors qu’il atteint à peine sa première année d’existence, le petit Albert grandit dans le quartier pauvre de Belcourt à Alger.
 
C’est là, à l’école primaire, que le jeune Albert découvre les joies du football. Sa misère était telle que sa grand-mère veillait scrupuleusement à ce qu’il n’use pas les semelles de ses chaussures en jouant au foot.
 
À l’âge de 13 ans, il devient le gardien de but de l’Association Sportive de Montpensier avant d’intégrer l’équipe junior du Racing Universitaire d’Alger (RUA).
 
Il excelle dans ce rôle de gardien de but et les journaux de l’époque soulignent ses exploits. Malheureusement, le rêve qu’il caressait de devenir footballeur professionnel se brise lorsqu’il apprend, à l’âge de 17 ans, qu’il est atteint de la tuberculose, maladie mortelle à l’époque.
 
Malgré un renoncement au foot forcé par le destin, Albert Camus conservera une passion pour le ballon rond tout au long de son existence.
 
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Fidèle à son club le RUA (Racing Universitaire d’Alger) :
 
Je ne savais pas que vingt ans après, dans les rues de Paris ou de Buenos Aires (oui, ça m'est arrivé) le mot RUA prononcé par un ami de rencontre me ferait battre le cœur le plus bêtement du monde”.
 
« Je vais voir les matches du Racing Club de Paris, dont j’ai fait mon favori, uniquement parce qu’il porte le même maillot que le RUA, cerclé de bleu et de blanc. »
 
Dans tous ses grands romans, L’Etranger, La Peste, La Chute ou le Premier Homme, des références à ce sport apparaissent.
 
Le football et le poste de gardien de but qu’il occupa sera une des composantes fondatrices de la personnalité d’Albert Camus. Le plaçant à la fois dans l’équipe et seul dans sa cage, il y trouvera l’équilibre nécessaire à sa vie d’écrivain et d’artiste.
 
Il en gardera le goût du travail collectif et de l’esprit d’équipe dans les activités théâtrales et journalistiques qui seront les siennes par la suite.
 
Entre solitude indispensable à la création et besoin impérieux de faire partie du monde, de son temps et de ses contemporains, ce positionnement restera le sien sa vie durant.
 
 « J’appris tout de suite qu’une balle ne vous arrivait jamais du côté où l’on croyait. Ça m’a servi dans l’existence et surtout dans la métropole où l’on n’est pas franc du collier. ».
 
Il confiera plus tard que cette perception lui a été très utile pour évoluer dans un milieu intellectuel parisien où il s’opposa de façon virulente à d’autres intellectuels, dont Jean-Paul Sartre.
 
Albert Camus nous apprend peu sur le ballon rond. Il se contente de vivre sa passion et son attachement au milieu populaire dont il est issu.
 
Sa passion du football traduit aussi ce fort sentiment d’être en décalage constant avec le monde intellectuel et les salons parisiens censés être son nouveau monde.
 
Pour Albert Camus, le football fait office d’une école de la vie que compléta celle de la république.
 
Il remerciera plus tard les deux écoles lors du discours d’acceptation de son prix Nobel en 1957 où il donne sa vision de l’artiste :
 
« Seul dans la création et pourtant membre à part entière de la communauté des hommes ».
 
Sources : José Lenzini, Les derniers jours de la vie d’Albert Camus (Actes Sud).
 
Patrice Quiot