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PATRICE
Vendredi, 30 Décembre 2022
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Galères colombiennes : Andrés, Franklin, José Ignacio y Fabio Andrés Zerrato (1)…
Fabio Andres Zerrato a tout juste 17 ans et la violence de sa vie n'a pas encore effacé de ses traits la douceur de l'enfance.
Pour tromper l'anxiété, il tue le temps avec un copain, en sirotant un jus de maracuja.
Dans une heure, Fabio se retrouvera seul, face à un novillo de 350 kilos. La dernière fois qu'il a combattu un taureau, ça s'est plutôt mal passé. 
Une vilaine cicatrice au côté en témoigne.
Mais lui affirme garder de cette corrida un bon souvenir. Grâce au triomphe qui l'a suivie. 
Depuis l'âge de 13 ans, Fabio s'entraîne pour devenir matador. Il travaille avec des vachettes, affronte des novillos et rêve, lorsqu'il aura 18 ans, de prendre l'alternative, sorte d'intronisation qui permet de combattre des animaux de plus de 4 ans pesant une demi tonne.
Lorsqu'il avait 15 ans, un taurillon lui a démoli un bras et cassé la clavicule. Il aurait dû s'arrêter six mois.
D'autant que, sa croissance n'étant pas terminée, les médecins ne pouvaient pas lui poser de broches. Mais, six semaines après l'accident, Fabio, qui avait peur d'avoir peur, retrouvait l'arène, malgré la raideur de son bras.
Quelques mois plus tard, à Bogotá, un coup de corne assassin l'envoie rouler dans la poussière. Le gamin se relève, flageolant. Et tue le taureau. Il a le temps d'entendre le tonnerre d'applaudissements qui résonne encore dans sa tête avant de s'écrouler. 
A l'hôpital, il faut lui enlever un demi-poumon. 
Après deux années de soins, de rééducation, d'entraînement, Fabio repart aujourd'hui à l'assaut. 
Son rêve est celui de milliers d'enfants pour qui la tauromachie remplace, comme moyen d'ascension sociale, la boxe, mais aussi l'assassinat au service des parrains de la drogue, qui, désormais traqués, ont perdu leur prestige d'antan. 
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Chaque matin à huit heures et demie, dans la plaza de toros Santamaría, les arènes de Santa Fe de Bogotá, une ribambelle de gosses venus des quartiers misérables du sud de la ville viennent apprendre l'art qui fera peut-être d'eux des demi-dieux, à l'instar de César Rincón, ce héros colombien qui triomphe aujourd'hui jusque dans la Mecque de la tauromachie, Madrid, et gagne plus de 100 millions de pesos (600 000 francs) par corrida. 
Comme eux, Rincón sort de la misère.
Il y a deux ans, la société gestionnaire des arènes a ouvert une école – gratuite – afin de former de grands matadors, mais surtout pour satisfaire à une loi qui l'oblige désormais à investir une partie de ses importants bénéfices au profit de la ville. 
Des jardins publics, des arrière-cours, des ruelles désertes où ils jouaient au torero avec un vieux chiffon en guise de muleta et un bâton pour épée, les gamins rêvant d'or et de gloire accourent par dizaines. Des chats sauvages, prêts à tout pour s'en sortir. Les uns ont déjà essayé le vélo et compris qu'ils ne gagneraient jamais une course ; d'autres sont prêts à trahir le foot, parce qu'ils ne veulent plus jouer goal ; certains estiment simplement que l'on gagne plus à tuer des taureaux que des hommes. 
En Colombie, ce n'est pas le courage qui manque. Surtout dans les quartiers d'où viennent les apprentis toreros. Dans plusieurs secteurs de la banlieue sud de Bogotá, la police ne pénètre qu'escortée d'automitrailleuses. Certes, le gouvernement a lancé ou soutenu de nombreux programmes sociaux, multiplié les écoles, créé des centres de formation pour adultes et, à l'entrée de Ciudad Bolívar, une sorte de favela de 400 000 habitants, des avocats sont même appointés par l'Etat pour aider les gens à résoudre leurs problèmes autrement qu'en frappant. Et pour faciliter leurs rapports avec une police dont les méthodes ne sont pas toujours irréprochables. 
A cause d'une éternelle guerre civile et du trafic de drogue, qui affaiblissent l'Etat. Tous les matins – car l'après-midi il faudrait, normalement, aller à l'école – la Santamaría se remplit donc d'enfants. 
Andrés Herrera a 13 ans et, sous le regard omniprésent d'un père abusif, s'efforce de bien faire.
Papa, ne travaillant pas, s'est trouvé un métier : «manager» de son fils. Il se démène, s'endette, mise son propre avenir sur celui du petit. « Justement, il est bien petit, commente Pablo Becerra. Un torero ne doit pas faire moins de 1,70m ; sinon, le taureau risque d'être plus grand que lui. C'est dangereux. Mais – qui sait ? - il grandira peut-être assez. » 
Franklin Valencia, lui, a 16 ans et la corrida dans le sang. Les premières banderilles, il les a plantées, il y a pas mal d'années, sur le dos du chien de la maison. 
L'exploit lui a valu une paire de claques mémorable, qui a sauvé Médor d'une probable mise à mort. 
Quant à Juan Carlos, il ne fait qu'accompagner son frère : il a 3 ans !
A suivre…
Patrice Quiot